BREST, "VILLE-ARSENAL"
in La route des fortifications en Bretagne et Normandie de Guillaume Lécuillier, coll. les étoiles de Vauban, Paris, éditions du Huitième jour, nov. 2006, 168 p.
"A considérer Brest en particulier, on trouvera qu'il est situé comme si Dieu l´avait fait exprès pour être le destructeur du commerce de ces nations-là puisqu´il est plus que pas un autre à portée de le pouvoir incommoder de quelque côté qu'il puisse venir, soit du sud, de l'ouest ou du nord ; il n'y a point de port de mer mieux placé et mieux disposé : sa rade est très sûre contre les mauvais temps et les ennemis, et s'assure tous les jours de plus en plus... [...]". Vauban, Mémoire concernant la câprerie, novembre 1695.
L'idée de construire à Brest un arsenal n'est pas nouvelle puisque dès le 16e siècle (règne de François 1er), le site est signalé comme un des plus grands ports de mer du Royaume. En 1626, le cardinal Richelieu insistait auprès du roi Louis XIII sur l'intérêt de disposer d'une bonne marine de guerre et d'un port bien placé : Brest. En 1631 avait été organisée la Marine du Ponant axée sur trois sites portuaires : Le Havre (Haute Normandie), Brouage (Charente-Maritime) et Brest (Bretagne)... Quelques années plus tard, un "arsenal" naissait sur les rives de la Penfeld au fond des grèves de Troulan et Pontaniou.
Duquesne, commandant de la Marine, se préoccupe de l'aménagement et de la défense du port de 1665 à 1672. Chertemps de Seuil, nommé intendant de Brest en 1674, va lancer les grands travaux de l'arsenal en dépit du manque de fonds. Ils seront poursuivis par ses successeurs notamment Champy Desclouzeaux (1683-1701) et surtout Choquet de Lindu, ingénieur de la Marine qui, profitant des grands incendies (1742 et 1744), rationalise l'arsenal au milieu du 18e siècle.
En raison de l'absence de projet directeur, l'arsenal se développe de manière quelque peu "anarchique". Denis de Lavoye, ingénieur ordinaire en poste à Brest dénonçait à Colbert cet état de fait dès 1676, ce que Seignelay confirmait en écrivant en 1680 : "On n'a travaillé jusqu'à présent que par morceaux à Brest". Pierre Massiac de Sainte-Colombe, ingénieur (mort en 1682), est en charge des fortifications de la ville et, afin de résoudre les désordres de cette place, un nouvel ingénieur âgé de 32 ans : Siméon Garangeau, attaché au département de la Marine, est nommé en avril 1679. Garangeau, ainsi promu, a en charge les bâtiments du port et arsenal et les batteries de côte. Il recevra quelque temps plus tard son brevet d'architecte du Roi.
Remontant en bateau de Belle-île, Vauban fait halte à Port-Louis avant d'arriver à Brest dans la première quinzaine du mois d'avril 1683. Il est chargé par Jean-Baptiste Colbert de poursuivre les réalisations de l'arsenal de Brest et d'assurer la défense de la rade et le goulet. Après Rochefort, Le Havre-de-Grâce (Le Havre), Toulon, Marseille et Dunkerque, le ministre relance les travaux d'aménagement du port et arsenal de Brest avec le creusement de la Penfeld. In fine, l'objectif de Colbert est de mener une politique de construction navale ambitieuse afin de positionner le Royaume de France au niveau européen : c'est à dire au niveau de la puissance des Anglais et des Hollandais. Pour cela, la Marine du Roi Soleil doit disposer d'arsenaux, de ports de guerre et de "mouillages assurés".
Pour Vauban, "la nature avait donné à ce port là [Brest] les commodités des eaux, des profondeurs et des rades. Elle l'avait mis au milieu entre les provinces maritimes du royaume et comme à leur tête. Elle en avait fait pour ainsi dire une des clés de l'entrée de la Manche". Il rédigea son projet pour Brest au début du mois de mai (9 mai 1683) et ce fut aussi le début d'une longue amitié et collaboration avec l'ingénieur Garangeau.
Afin de résoudre les problèmes techniques liés à la porte de l'écluse de la forme de Troulan et la mise à flot du "Soleil Royal", plusieurs ingénieurs se succèdent et doivent travailler ensemble : Vauban bien évidemment en "directeur des opérations", mais aussi de Lavoye, Garangeau, et Benjamin de Combes (marin, hydraulicien et ingénieur). Entre 1661 et 1683, on a construit à Brest 36 navires portant plus de 2200 canons ! Dans le même temps, la population de Brest explose, attirée par les débouchés de la Marine.
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