(Ce fort dans le règlement du Roi est nommé fort Saint-Pierre, étant placé à un quart de lieue en avant de ce bourg sur le chemin qui conduit à la Trinité. On lui a donné le nom de fort Montbarrey à la visite que ce Prince en a fait le 20 juillet 1779 lors de sa construction, nomination qui a été approuvée du Roi, ainsi que le porte la lettre du ministre en date du 2 août de la même année).
"Après avoir fait une reconnaissance exacte et étudiée du terrain désigné dans le règlement du Roi, on a jugé que la meilleure position où ce fort pouvait être assis, était sur une sommité qui joint la Croix du Ru à la Croix du Coët et sur laquelle passe le grand chemin de Brest à Saint-Mathieu, traversant les villages de Saint-Pierre et de la Trinité. Cette sommité termine par sa gauche un vallon qui y prend sa naissance et se prolonge jusqu´à la mer à l´endroit dit Anse Garen ; par sa droite, elle termine de vastes vallées qui s´étendent jusqu´aux hauteurs de Guiler et où prennent naissance des sources qui vont se jeter, partie dans la rivière de Penfeld, passant sous le Pont-de-Buis, et partie dans les marais de Saint-Renan ; en face est une pente douce qui remonte à un plateau qui s´étend jusqu´à la Trinité.
Cette position a paru remplir avantageusement l´intention de la Cour. Elle se trouve sur le véritable cheminement de l´ennemi, qui, supposé débarqué au Conquet ou à Bertheaume, voudrait marcher directement sur Brest, et, en cas qu´il s´en écartât, de droite ou de gauche, elle domine le terrain qu´il aurait à parcourir, et l´oblige de se jeter dans un pays bas, coupé de ruisseaux, dont on pourrait même tirer parti pour rendre son passage difficile et le retarder dans sa marche.
De plus, le fort placé sur cette crête de terrain ne peut être attaqué en règle que par le front, la pente précipitée de droite et de gauche ne permettant pas à l´ennemi d´y établir des batteries ou, au moins, ces batteries par leur grande infériorité devenant sans effet pour détruire les défenses.
Ce sont ces avantages réunis qui ont fixé l´emplacement de ce fort : l´étendue et la forme du terrain en ont désigné le tracé, tel qu´il suit.
On a formé en tête un petit front ; deux branches droites ont bordé les côtés pour enfiler les vallons et l´ouvrage a été fermé par la gorge.
Le front s´est trouvé ne pouvoir porter que 62 toises de côté extérieur au cordon et même, quoiqu´on ait borné les fossés à 8 toises de largeur et qu´on ait donné que le moins possible de longueur aux flèches des places d´armes latérales, on a encore été obligé de former un glacis coupé au saillant de celle de la gauche, la chute précipitée du terrain empêchant d´y pratiquer des glacis ordinaires.
On a donné 68 toises de longueur à chacune des branches.
La grandeur de ce fort étant ainsi déterminée par l´étendue du terrain sur lequel il est assis, on a cherché à le mettre en état par les ressources intérieures qu´on y a ménagées, de procurer la plus grande défense avec les 5 ou 600 hommes que la Cour a marqué avoir intention d´y affecter, et en même temps de contenir à l´abri de la bombe cette garnison, avec tout ce qui est nécessaire pour trois semaines de défense.
Pour cela, on a élevé dans l´intérieur un vaste cavalier qui a le double avantage de porter sur son rempart une artillerie formidable plongeant sur le terrain qui l´environne et de fournir dans les souterrains qu´on y a pratiqués tous les logements nécessaires à la garnison et à ses besoins.
Dans le développement des flancs de la courtine du front, on a ménagé une galerie crénelée qui donne des feux couverts sur toutes les crêtes des glacis dans l´intérieur des chemins couverts et places d´armes ainsi que dans les fonds des fossés, dont une partie ne peut être vue des feux du rempart à cause de la petitesse du front : ces feux, ne pouvant jamais être détruits par le canon des attaques à moins que l´établissement n´en soit fait sur la crête du chemin couvert, resteraient intacts et dans leur entier, au moment où l´ennemi voudrait tenter une attaque de vive force. Ils deviendraient même en ce moment d´autant plus funestes que les soldats seraient en sûreté et aussi meurtriers la nuit comme le jour, les créneaux obligeant de les diriger aux endroits où ils doivent agir.
Nota. Il restait une incertitude sur l´effet de ces galeries crénelées ; on craignait que la fumée des amorces jointe à celle du canon, dont une partie rentre dans les créneaux, ne fût trop considérable et par conséquent n´en rendît l´usage impraticable en suffoquant ceux qui seraient destinés à leur service. Il est véritablement probable que cet inconvénient aurait pu avoir lieu sans les précautions qu´on a prises pour s´en garantir. A cet effet, on a pratiqué des ouvertures par en bas qui établissent un courant d´air ; et des évents par en haut qui donnent issue à la fumée.
L´expérience a prouvé ce que le raisonnement avait indiqué.
Lors de la visite du fort par Monsieur le Prince de Montbarrey le 20 juillet 1779, on avait placé dans chaque galerie du front deux fusiliers par créneau. L´ordre fut donné de faire feu tous ensemble et de le continuer. Ce feu fut servi pendant un quart d´heure avec vivacité, la fumée quoique considérable s´échappait par les évents, en sorte qu´aucun soldat n´en fut incommodé.
Le Prince voulant ensuite voir jusqu´où cela pouvait aller, en fit porter un troisième rang dans une des galeries ; alors trois fusiliers faisant un feu bien nourri par le même créneau, la fumée devint trop considérable, et on fut obligé de cesser, les soldats ne pouvant y tenir. Mais un moment après que le feu fut éteint, la galerie s´éclaircit et ceux qui y étaient restés cessèrent d´en être incommodés.
D´après cette expérience, on peut donc compter avec assurance sur l´usage de ces galeries couvertes et crénelées et par conséquent être certain qu´elles rempliront l´objet auquel elles sont destinées.
Les deux galeries du front contiennent 30 créneaux, en sorte que, comptant sur deux fusiliers par chaque, on voit que dans la défense il faut y destiner 60 hommes. Cette galerie crénelée n´a pas été continuée le long des faces des demi-bastions, afin de ne pas en affaiblir le revêtement, ces faces dans un siège pouvant être battues en brèche. C´est la même raison qui a empêché de les prolonger dans les branches. On communique à ces galeries du front par un passage sous le rempart, qui prend son entrée dans le souterrain du milieu.
Tout le dessous du cavalier est occupé par de grandes casemates voûtées à l´épreuve de la bombe. La légende du plan des distributions indique l´usage auquel chacune est destinée. En la parcourant, on verra qu´il y a de quoi loger à l´aise 600 hommes et 30 officiers. On y verra de plus un hôpital, une boulangerie, et qu´il reste encore des magasins capables de contenir les munitions de guerre et de bouche nécessaires pour la défense.
Nota. Dans la construction de ces casemates, on n´a rien négligé pour les rendre sèches et aérées. Chaque chambre a trois croisées du côté intérieur et un abat-jour du côté extérieur. La croisée du milieu du côté de la place et l´abat-jour opposé sont placés tout au sommet de la voûte comme le moyen de procurer le plus grand renouvellement d´air, les vapeurs se rendant dans la partie la plus élevée. On a aussi placé une grande cheminée dans chaque souterrain, tant pour que les soldats y puissent faire leur ordinaire en sûreté, que pour contribuer à les rendre encore plus secs et y inciter le renouvellement d´air. De plus, il a été pratiqué, ainsi qu´on l´a remarqué dans la légende, une séparation dans tous les murs adossés aux terres pour préserver l´intérieur de l´humidité et toutes les précautions possibles ont été apportées pour empêcher les filtrations [infiltrations] d´eau pluviale au travers des voûtes, en sorte que l´on peut assurer que ces logements, qui d´ailleurs sont à l´abri de la bombe en blindant les ouvertures, sont aussi très habitables en cas d´attaque, et qu´ils peuvent même être occupés en tous temps, sans craindre les maladies pour la troupe qui y serait logée. C´est ce que l´expérience a déjà prouvé puisque, depuis quatre ans, les soldats travailleurs du fort, au nombre de 60 par (chaque) souterrain, n´ont pas eu d´autre habitation, hiver comme été, et qu´on n´a pas remarqué qu´ils aient eu aucune incommodité qu´on ait pu attribuer au logement.
Le dessus du cavalier est principalement destiné à l´artillerie. On croit que les pièces qu´on y placerait auraient une action bien efficace sur les attaques de l´ennemi à cause de son grand commandement et qu´il serait très difficile de les démonter, la direction du front ne pouvant être prolongée puisque, de droite et de gauche, elle tombe dans des vallons très profonds et que les branches sont trop courtes pour que le ricochet y fût à craindre. L´épaisseur des parapets de ce cavalier est de 3 toises et le talus extérieur de 45 degrés, en sorte que le boulet n´y ferait pas grand effet et que les terres qui s´en ébouleraient tombant sur le rempart, il serait toujours très facile au moyen de sacs à terre de les remonter toutes les nuits et par conséquent de réparer les dommages que les batteries de l´ennemi auraient pu y occasionner pendant le jour (On a adopté pour ces ouvrages les nouveaux affûts de place, qui tirent par dessus le parapet, regardant comme un grand avantage d´éviter les embrasures qui donnent prise au canon ennemi et qui sont très périlleuses à réparer).
[...]
1. Etat de la garnison
1. Etat-major : (7 officiers)
1 commandant en chef
1 commandant en second
1 aumônier
1 chirurgien
1 aide
1 munitionnaire
1 employé
Domestiques (10 soldats)
2. Troupes :
Infanterie (25 officiers ; 500 soldats)
Artillerie (5 officiers ; 100 soldats)
Domestiques des officiers (10 soldats)
3. Corps du Génie :
Officiers du Génie (2 officier)
Sergents ouvriers (12 soldats)
Total (39 officiers ; 632 soldats)
Total des bouches : 671 bouches.
[...]
2. Mémoire sur l´artillerie que l´on juge nécessaire pour l´armement du fort Montbarey
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Résumé de l´artillerie nécessaire pour ce fort
Emplacement des pièces :
Sur le cavalier : 6 canons de 16 ; 6 canons de 12.
Sur le front et la gorge : 6 canons de 4 ; 2 mortiers de 8 ; 2 obusiers.
Sur les branches : 4 canons de 12 ; 4 canons de 8.
Total de chaque calibre : 6 canons de 16 ; 10 canons de 12 ; 4 canons de 8 ; 6 canons de 4 ; 2 mortiers de 8 ; 2 obusiers.
Total des bouches à feu : 32
Etat des munitions nécessaires pour l´artillerie ci-dessus, à 250 coups par pièce
1500 boulets de 16.
2 500 boulets de 12.
1 000 boulets de 8.
1 500 boulets de 4.
300 bombes de 8.
300 bombes d´obusier.
Poudre au 1/3 du boulet : 34 800 livres.
Poudre pour l´infanterie à raison d´une livre par jour : 10 000 livres.
Pour les mines et fougasses, artifices, etc. : 9 000 livres
Total de la poudre : 53 800 livres.
Nota. Quoique le magasin à poudre ne puisse contenir que 25 milliers de poudre, les 28 milliers restants se placeraient aisément dans le commencement du siège, soit dans les petits magasins particuliers, soit dans une partie des galeries qu´on affecterait à cet usage.
[...]
A Cherbourg, le 1er mai 1785, De Caux".
(Transcription Guillaume Lécuillier, 2007).
Charles Claude Andrault de Maulévrier (1720-1792), marquis de Langeron, lieutenant général des armées du roi, commandant la division de Bretagne nommé "commandant en chef des grands travaux de Brest et de la construction du fort de Châteauneuf auprès de Saint-Malo".