Un castellum antique recyclé jusqu’à la guerre de Cent Ans
L’origine du château de Brest remonte à un vaste castellum gallo-romain du Bas-Empire, daté du dernier tiers du IIIe siècle par les historiens récents. Le plan trapézoïdal du château actuel reprend celui de l’enceinte antique, qui était toutefois moins étendue et plus resserrée vers la mer. Ses dimensions (environ 560 m de périmètre complet) sont très au-dessus de la moyenne pour un castellum, poste militaire n’ayant pas pour vocation d’abriter un peuplement aggloméré, et se rapprochent de celles des plus petits castra ou cités (civitates), villes fortifiées qui accueillirent les premiers diocèses de la Gaule.
Les chroniques du haut Moyen Âge qualifient Brest de castellum ou d’oppidum. L’église Notre-Dame de Pitié, fondée en 1065, restera l’unique paroisse de Brest jusqu’en 1549.
L’acte de 1239, par lequel le duc de Bretagne Jean I Le Roux acquiert cette forteresse côtière du comte de Léon, emploie à la fois les qualificatifs de villa, castrum et portus, qui mettent en évidence pour la première fois le port et son intérêt à l’échelle du duché. Les textes datant de l’occupation anglaise (1342-1397) établissent que les défenses de Brest étaient constituées par l’enceinte de la ville, le "donjon" et le "petit château" (1).
Ces deux derniers éléments ne peuvent plus être identifiés ou localisés sûrement aujourd’hui, même s’il est probable que le donjon ducal du XVe siècle occupe l’emplacement de celui mentionné au siècle précédent. Contrairement à une idée persistante, il ne reste dans le château actuel, à l’exception des vestiges de l’enceinte antique, aucun élément qui, par ses caractéristiques de mise en œuvre ou par ses formes architecturales, puisse être daté d’une période antérieure au tout début du XVe siècle.
Un fait essentiel, lui-même controversé jusqu’à une date récente malgré les preuves fournies par les sources, est aujourd’hui bien établi : la ville de Brest, avec ses maisons, ses rues, son église, est restée durant tout le Moyen Age à l’intérieur de l’enceinte de l’ancien castellum (2). Le "donjon" et le "châtelet" étaient des sous-ensembles de ce "bourg castral" un peu particulier par son origine.
Une phrase de Vauban en 1683 rend compte de cette réalité alors révolue depuis près de deux siècles : "Ce que nous appelons aujourd’hui chasteau était autrefois la ville, et le vieux donjon, à présent inhabitable, s’appelloit le chasteau".
La guerre de Cent Ans donna à la place forte de Brest une importance stratégique de premier plan, d’autant que le port, bien abrité dans les larges méandres de l’estuaire de la Penfeld, était des plus sûrs. L’ancien oppidum contrôlant l’entrée du port, tenu par les Anglais dès 1342, était devenu une ville de garnison dotée d’un arsenal considérable et dont la position topographique était suffisamment inexpugnable pour résister aux attaques et sièges conduits par voie de terre.
Le duc Jean IV, élevé sous la tutelle du roi d’Angleterre Édouard III, eut, au long de son règne (1365-1399), la plus grande difficulté à agir en toute souveraineté sur Brest, place commandée par un capitaine anglais (3). Brest était la seule place forte du duché de Bretagne encore occupée par des troupes anglaises après le second traité de Guérande (4 avril 1381), par lequel le roi de France Charles VI reconnaît Jean IV comme le titulaire légitime du duché de Bretagne. Ce n’est qu’en 1397, deux ans avant la mort du duc, que la place de Brest lui fut restituée, au prix d’un lourd rachat. Pour l’essentiel, l’enceinte restait celle du vieux castellum, recyclée, réparée et partiellement reconstruite. On note en particulier que toute une partie du front sud/sud-est, comportant quatre tours, s’était écroulée en 1385 et avait dû être reconstruite (4).
S’il est probable que Jean IV a conçu le dessein de la reconstruction de son château ducal de Brest, les pièces comptables attestant des premières étapes de ce programme ne datent que de 1405, soit du début du règne du duc Jean V (1399-1442), animé comme son père d’un tempérament bâtisseur.
Le donjon de Jean V
La tour maîtresse résidentielle qui constitue le noyau du donjon actuel, et dont le plan, alors original, associe un corps barlong à un volume cylindrique, fut à coup sûr l’objet du marché de 2 600 livres porté au registre de la chancellerie de Bretagne de 1405 pour une construction nouvelle au château de Brest, "sans les accroissements", sous la direction de Guillaume Perrier, "maître et serviteur des œuvres de Brest" (5). La construction d’une tour maîtresse neuve était un acte prioritaire pour le duc, désireux d’affirmer symboliquement sa présence sur une ville castrale stratégique depuis peu récupérée.
Ce type de programme architectural s’inscrit dans une politique d’autorité souveraine non essentiellement militaire sur le duché. La tour de Brest reprend le principe de celle édifiée à Dinan, autour de 1382, pour Jean IV, par le maître Étienne Le Tur : quoique moins luxueuse et raffinée, elle abrite aussi une résidence ducale réduite mais confortable, avec salles, chambres, cuisine et oratoire, et son volume imposant interrompt la continuité de la muraille de ville sur le tracé de laquelle elle est bâtie. La tour de Dinan juxtapose deux corps semi-cylindriques qui font saillie l’un au-dehors, l’autre au-dedans de l’enceinte. La tour de Brest fait saillie exclusivement vers l’intérieur de l’enceinte, de sorte qu’elle ne participe en rien au système défensif collectif, mais dominait avantageusement la ville de son front semi-cylindrique, le plus martial.
Bâtie sur le front d’entrée et à proximité de l’angle nord de l’enceinte du castellum, la tour maîtresse de Brest disposait d’une petite cour sur laquelle s’ouvrait sa porte, en retrait dans l’aire étroite qu’enveloppait cet angle. Ce dispositif minimal rappelait celui de la tour de Dinan, flanquée d’une courette close de murs, et comportait peut-être une poterne vers le fossé du front nord-est. On ignore la date à laquelle fut décidée et réalisée la construction d’un réduit fortifié plus ample comportant une petite enceinte polygonale retranchée de la ville par un fossé particulier, flanquée d’une tour d’angle, l’actuelle tour Azénor, qui remplace peut-être une tour antique du front nord-ouest dominant la Penfeld. L’ensemble constitue dès lors le donjon, terme désignant généralement un complexe et non une tour seule. Faute de sources explicites, les caractères architecturaux incitent à attribuer ces accroissements à la décennie 1420, sous l’autorité de Jean V. Cependant, certains détails de mise en œuvre rapprochent l’enceinte du donjon de la porte monumentale du castellum édifiée plus tardivement, autour de 1460. Quoi qu’il en soit, les maîtres d’œuvre de cette campagne ont également reconstruit le tiers de la longueur de la courtine du front nord-ouest de la ville regardant la Penfeld, certainement en avant de son alignement antique ; ce haut segment de muraille partant de la tour Azénor et terminé par un redan à échauguette ne peut être daté que par ses analogies avec le donjon.
On sait par une pièce du compte du trésorier et receveur général de Bretagne Jean Droniou que durant la période 1423-1426, une somme de 800 livres fut allouée à Guillaume Perrier "pour un marché d’une tour et autres œuvres en la forteresse de Brest". Cela n’est malheureusement pas suffisant pour localiser les ouvrages mentionnés, quelle que soit la tentation de les rapprocher de ceux du donjon.
Les portes et boulevards de terre et de mer du temps de Jean V et François II
Il faut attendre le règne du duc François II pour trouver mention de la construction de nouvelles fortifications. Il s’agit d’abord du portal de Brest, puissant ouvrage d’entrée à pont-levis entre deux grosses tours dites les tours Paradis, en position centrale sur le front d’entrée du castellum, dont il remplace la porte antique. Il s’agit aussi de l’ouvrage avancé associé dit boulevard, barbacane ou ravelin, de plan triangulaire, ouvert à la gorge comme il est usuel. L’un et l’autre sont construits simultanément entre 1462 et 1466. Il faut d’emblée préciser qu’à l’époque de sa construction, cette porte fortifiée n’était comparable par sa monumentalité qu’à des portes de villes importantes, et qu’il s’agit peut-être de la plus imposante de cette génération en Bretagne. Elle était l’unique porte côté terre d’une ville close de faible étendue mais de grande importance stratégique.
Un mandement de François II en date du 1ermars 1464 atteste l’avancement du chantier. Vraisemblablement commencée au début du règne de François II (1458), l’œuvre n’était pas encore achevée en 1466. Dès le 1er juillet 1462, un autre mandement ducal, "adressé à Olivier Baud, trésorier des guerres et miseur des deniers ordonnez es euvres et reparacions des places de Bretaigne" concernait la construction "d’un boulevart […] devant le chastel de Brest », moyennant1 800 livres..."(6).
L’ouvrage d’entrée à deux grosses tours est couronné de mâchicoulis analogues à ceux du donjon : ce couronnement défensif avait été étendu, sans doute aussi dans les années 1460, à l’ensemble du front d’entrée, c’est-à-dire à la muraille romaine et à ses minces tours cylindriques alors bien conservées ; celles-ci avaient en outre été couvertes de toits coniques, certains encore visibles sur les vues cavalières du château au XVIIe siècle.
Au milieu de deux autres fronts de l’enceinte, deux ouvrages non datés paraissent antérieurs et pourraient remonter à la première moitié du XVe siècle, avant la fin du règne de Jean V : la tour du Moulin, au sud/sud-est, simple tour de flanquement semi-cylindrique couronnée de mâchicoulis et, au sud-ouest, la tour de César en figure de proue à la pointe d’un saillant triangulaire face à la mer. Par leur diamètre inférieur ou égal à 10 m et leur plan intérieur hexagonal, elles s’apparentent moins aux grosses tours du portal de Brest qu’à la tour Azénor et à la partie circulaire de la première tour ducale, toutes deux appartenant au donjon.
L’ouvrage triangulaire de la tour de César fait saillie sur la courtine du front sud-ouest du château, mais cette courtine, comme les deux grosses tours de ses angles, dites Française et de Brest, ne datent que du premier quart du XVIe siècle. Avant leur construction, existaient déjà aux mêmes angles sud et ouest de l’enceinte deux tours mentionnées en 1498 sous le nom de tours Française et Coëdres. Les tours actuelles, rebâties après cette date, n’ont pas remployé ces deux tours antérieures et ne sont pas construites au même emplacement : l’édification du front actuel, projeté en avant de l’ancien (d’origine antique), pour accroître l’emprise intérieure de l’enceinte, a entraîné la démolition des ouvrages précédents.
Avant d’être recoupé par la grande courtine du XVIe siècle, l’ouvrage triangulaire formait donc un boulevard monumental détaché de l’enceinte et ouvert à la gorge, protégeant une "porte de mer" assez discrète, en symétrie de la barbacane du front d’entrée de l’enceinte.
Non seulement le plan de ces deux "boulevards" est grossièrement similaire, à cela près que celui qui regarde la mer est flanqué d’une tour en capitale, mais en outre, ce dernier ouvrage a conservé une porte à pont-levis sur son flanc sud, preuve qu’il était traversé par un chemin en chicane, habituel pour un ouvrage avancé de ce type. Cette porte secondaire, plutôt une poterne, ne donnait pas directement sur la mer : elle s’ouvrait vers un enclos fortifié extérieur de plan polygonal, flanqué de trois tourelles, bâti sur la partie haute de l’importante avancée rocheuse irrégulière qui s’étend vers la mer hors de l’enceinte. Aujourd’hui disparu, en partie nivelé et remplacé par des aménagements militaires du XVIIIe au XXe siècle, cet enclos était nommé Parc au Duc (7), appellation repérée dès le début du XVe siècle, indiquant qu’il servait de petit parc de chasse.
La présence concurrente de deux portes précédées d’un boulevard en deux points d’une même enceinte n’a rien de surprenant s’agissant d’une ville, d’autant que la rue principale de l’agglomération intra-muros reliait certainement ces deux portes alignées dans une même perspective. Le portal de Brest, tel qu’il fut conçu vers 1460, était la porte principale de la ville, normalement hiérarchisée avec son châtelet d’entrée à deux grosses tours et sa barbacane basse, dite ravelin. À l’opposé, le boulevard sud-ouest, protégeant une porte secondaire ouverte vers le parc et vers la mer, était, plus qu’une barbacane, un ouvrage fortifié monumental visible de loin, aux murs élevés couronnés de mâchicoulis et rehaussé d’une tour imposante en capitale.
Le parti ostentatoire du "boulevard de mer" et son antériorité sur celui de la "porte de terre" s’expliqueraient par le fait que l’ennemi à craindre durant toute la première moitié du XVe siècle n’était autre que l’Anglais, venant par la mer. La preuve en est fournie par les trois tentatives d’approche de la flotte anglaise en 1427, 1428 et 1452, chaque fois dissuadées par la force des défenses. Dans cette perspective, rien ne s’oppose à ce que le boulevard du sud-ouest, ait été construit avant 1427. Dans cette hypothèse, la " tour et autres œuvres" bâties entre 1423 et 1426 sur un marché de 800 livres pourraient correspondre à cet ouvrage.
Les tours du front de terre du duc François II, pour une forteresse réversible
L’achèvement du donjon par la construction de sa grosse tour nord, également non datée par les textes, est probablement un peu postérieur à la construction du portal de Brest. Cette tour surclasse par ses dimensions la première tour maîtresse tout en en reprenant le plan, dans une version à la fois plus simple et plus austère. On notera que son front semi-cylindrique est, cette fois, ostensiblement tourné vers le dehors. De fait, il s’agit autant d’une tour d’angle de l’enceinte de la ville castrale, que d’un ouvrage propre au donjon, dont elle accroît cependant les capacités locatives.
On ne peut manquer de comparer cette tour nord à la tour Madeleine, qui lui fait pendant à l’autre bout du front d’entrée du château dont elle flanque l’angle oriental. Cette dernière présente actuellement l’aspect d’un très fort ouvrage d’artillerie du début du XVIe siècle de plan en fer à cheval, avec front semi-cylindrique saillant sur le front d’entrée et flanc rectiligne du côté du front sud. La forme actuelle résulte du chemisage complet d’une tour plus ancienne de même plan, dont l’épaisseur a été doublée et les embrasures à canon modifiées (8). Avant ce chemisage, la tour nord primitive et la tour Madeleine se ressemblaient presque en tous points : dimensions, plan extérieur et intérieur, jusqu’à la position dans l’angle de la cage d’escalier en vis qui dessert leurs étages. L’une et l’autre étaient couronnées de mâchicoulis et couvertes d’un toit, mais ces superstructures ont été supprimées à l’occasion des transformations du XVIe siècle. Si la grosse tour nord ne conserve pas de canonnières, en revanche, celles de la tour Madeleine, desservies par des casemates murales fermées, sont d’un type non antérieur à la décennie 1470. La tour Madeleine et la tour nord pourraient correspondre aux "édiffices" du château dont le paiement de la maçonnerie, charpenterie et couverture justifie en 1481 et 1482 une allocation de 1 500 livres.
Quoi qu’il en soit, et même en supposant que la construction de la tour nord du donjon a pu précéder celle de la tour Madeleine, on doit les dater l’une comme l’autre de la seconde moitié du règne de François II (1458-1488).
Les ouvrages du règne de François II, à la différence de ceux du temps de Jean V, sont concentrés sur le front d’entrée côté terre : portail et son ravelin, tour nord, tour Madeleine, inversent l’orientation du front hostile de la place forte, dans une logique d’affirmation de la souveraineté du duché face aux appétits de Louis XI.
La forteresse royale française de Charles VIII à François Ier
Lorsque les troupes françaises prennent possession de Brest en 1489, le souci principal est d’installer à demeure une forte garnison à l’intérieur de l’enceinte. La ville close amorce sa mutation en forteresse purement militaire, mutation qui passe par la démolition progressive des maisons, la suppression des rues pour ménager une place d’armes, enfin par l’évacuation de la population civile extra-muros. Sous les règnes de Louis XII, François Ier et Henri II, les défenses de l’enceinte sont rééquilibrées par des ouvrages d’artillerie d’égale force installés aux quatre angles, trois grosses tours à canon de plan semi-circulaire en fer à cheval plus ou moins allongé (celles du front de mer resteront inachevées) et un bastion au droit du donjon.
Les Grandes chroniques de Bretagne d’Alain Bouchard, imprimées en 1514, alors que la construction des grosses tours d’angle n’est probablement pas achevée, désignent la forteresse de Brest comme "le plus fort chasteau que on saiche" (9). Les dimensions de l’enceinte, assez modestes à l’échelle d’une ville forte, devenaient formidables pour un château fort royal antérieur à l’ère des citadelles bastionnées. Le diamètre moyen (24 à 25 m) de la partie circulaire de chacune des trois grosses tours d’angle est supérieur à celui de la plus forte tour d’artillerie du château de Nantes (tour du Fer-à-Cheval, vers 1491-1500), et n’est guère atteint que par celui des deux tours du front d’entrée du château de Saint-Malo (commencées entre 1499 et 1501). Seules quelques tours analogues d’autres places fortes royales, achevées ou bâties au début du règne de François Ier, dépasseront - de peu - ces dimensions imposantes. Les tours d’artillerie de cette génération et de ce gabarit ne sont généralement plus couvertes d’un grand comble, mais d’une plate-forme à ciel ouvert bordée d’un parapet d’artillerie épais profilé en glacis, qui le plus souvent ne repose plus sur des mâchicoulis.
D’après une prisée dressée en 1498 ou 1499, Guillaume Carreau, capitaine de Brest pour Charles VIII, avait confié au maître Jehan de Herbaulle les réparations de la tour Madeleine, édifiée, comme on l’a vu, vers 1475-1480. Ces réparations sont sans doute à l’origine du chemisage qui en a augmenté le volume, l’épaisseur et la résistance à l’artillerie, tout en en respectant le plan en fer à cheval. On peut admettre cette date pour le début de cette transformation, mais les canonnières "à la française" d’un type évolué portent à dater l’état définitif du premier quart du XVIe siècle.
La construction du nouveau front sud-ouest et des deux autres grosses tours d’artillerie qui en marquent les angles, a entraîné le rattachement de l’ancien boulevard de mer au corps de place. La poterne du boulevard, issue du château vers la mer, fut alors remplacée par une nouvelle porte à pont-levis plus large, percée à proximité dans la courtine neuve, de plain-pied avec le Parc au Duc, qui venait d’être renforcé pour recevoir des pièces d’artillerie. La tour d’angle sud (dite tour de Brest jusqu’à la fin du XVIIe siècle(10)), restée incomplète d’un étage, est sans doute de ce fait la dernière construite, probablement dans la première partie du règne de François Ier (vers 1515-1525), ce que n’infirment pas ses canonnières et ses détails de mise en œuvre assez évolués.
Le grand chantier de modernisation des défenses du château de la période 1498-1525 comporte d’autres ouvrages moins connus, mais qu’il faut prendre en compte pour réaliser l’ampleur considérable du programme. Il s’agit des deux tiers de la longueur de la courtine nord-ouest, regardant la Penfeld, en partant de la tour ouest, haut segment de muraille construit au pied de l’escarpement naturel pour régulariser ce front qui comportait auparavant un important décrochement. Un boulevard bas ou tambour dit "fer à cheval" (détruit en 1788), appuyé au bas de cette courtine, couvrait une poterne ouverte vers la Penfeld et vers le port. Une autre reprise concerne le front sud/sud-est, dont la muraille, déjà reconstruite après 1385, a été doublée en épaisseur en conservant la tour du Moulin et en créant une poterne, passant par des casemates souterraines articulées à la tour sud.
Fortifications "à la moderne" de la seconde moitié du XVIe siècle
Le grand architecte de la Renaissance Philibert de l’Orme, nommé conducteur général des ouvrages des côtes de Bretagne en 1545 par le dauphin Henri, duc de Bretagne, est appelé à Brest l’année suivante pour améliorer la défense du port contre un éventuel débarquement anglais. Son intervention a dû concerner un "pan de mur neuf du côté de la mer" mentionné en 1553 (11), front extérieur bastionné du Parc au Duc (disparu) défendant l’entrée du port, favorisant le tir contre la coque ou les mâts des navires. Philibert et Jean de l’Orme, son frère et collaborateur, furent consultés à nouveau pour des fortifications à Brest entre 1552 et 1554, peut-être pour concevoir le dehors du château, devant la porte principale, pour les défenses de la ville neuve de Brest, désormais développée, à partir d’un faubourg, entièrement hors du château.
En 1552, le vice-amiral de Bretagne Nicolas Durand de Villegagnon projetait de renforcer le front d’entrée, à partir du donjon. Il est traditionnellement admis que l’exécution partielle de ce projet dès 1553 aboutit à la création de la tenaille (détruite après 1870), dehors assez sommaire établi au-devant de la porte du ravelin de 1462, couvrant la moitié du front d’entrée, donjon exclu (12). Il fut arrêté de renforcer directement le donjon plutôt que de le couvrir par un dehors, d’autant que l’angle du château qu’il occupe était le plus mal flanqué du quadrilatère, la tour nord des années 1475-1480 étant moins forte, moins saillante et moins armée que les trois autres et, de plus, délabrée.
Ce renforcement consista à envelopper l’embase de cette tour dans un bastion aux flancs casematés dont l’artillerie prenait en enfilade les fronts nord-est et nord-ouest du château et à remblayer la cour intérieure du donjon sur toute l’élévation de l’ancien rez-de-chaussée. On put ainsi aménager et creuser dans ce socle des souterrains défensifs voûtés à l’épreuve des bombes, composés de casemates et de galeries reliant les trois tours à couvert. Ces souterrains sont datés par le millésime 1556, mais le bastion, ou boulevard du donjon, est réputé n’avoir été commencé qu’en 1560 par l’ingénieur italien Pietro Fredance, sous le contrôle de Jérôme de Carné, capitaine-gouverneur des "château et ville de Brest".
La construction du bastion du donjon, ouvrage de bel appareil de pierre de taille, est abandonnée en 1576, le laissant incomplet. Après la mort de Jérôme de Carné, son successeur René de Rieux, sire de Sourdéac, fit achever en 1597 ce bastion auquel, depuis lors, son nom est resté attaché. La tour nord du donjon avait été réparée en remplaçant son toit par une plate-forme à ciel ouvert, probablement portée par une voûte, et ses mâchicoulis par un gros parapet à embrasures d’artillerie analogue à celui du bastion Sourdéac. Les tours d’angle est (Madeleine) et ouest (Française) furent dès lors pourvues du même type de parapet – bien visible sur une vue cavalière du château datée de 1640 – sans doute sensiblement différent de celui qui était prévu au début du XVIe siècle.
Un autre aménagement défensif important de la seconde moitié ou de la fin du XVIe siècle est l’énorme rempart adossé au revers des courtines du front d’entrée du château, depuis la gorge de la tour Madeleine jusqu’au donjon.
Les grands travaux de Vauban
Dès avant 1676, d’autres renforcements avaient été apportés à la forteresse, notamment la fausse-braie, qui règne au pied de la courtine du front d’entrée, reliant la porte du château et son ravelin à la tour Madeleine. Du projet général de l’ingénieur Pierre de Sainte-Colombe, daté du 3 mai 1677 et chiffré à 53 000 livres (13), a été réalisée, pour 8 000 livres, une batterie basse, dite de la Rose (du nom d’un rocher antérieurement isolé sur lequel elle s’appuie) formant une avancée polygonale dans la mer à l’angle ouest du socle rocheux du Parc au Duc.
Vauban, succédant à Clerville dans la charge de commissaire général des fortifications l’année qui suit ce projet, attend 1683 pour rédiger un nouveau mémoire exposant "les réparations plus nécessaires" à apporter au château de Brest.
Le projet de Vauban pour le château témoigne d’une volonté systématique d’achever les ouvrages imparfaits du début du XVIe siècle, de voûter les tours qui ne l’étaient pas et les espaces susceptibles d’être aménagés en casemates, afin d’accroître les couverts à l’épreuve de la bombe. La réfection de la majeure partie des parapets maçonnés des tours, courtines et boulevards est proposée, pour les munir d’embrasures d’artillerie à barbette, ou pour améliorer celles qui existent.
L’essentiel du projet a été réalisé, avec des restrictions ou des changements. Si les tours d’angle ouest et sud du château ont vu leur vide intérieur voûté et refermé à la gorge, la seconde d’entre elles (alors rebaptisée tour Française) n’a pas été surhaussée de deux toises.
Le front sud/sud-est du château fut organisé selon le dessein de Vauban par la création d’un large rempart de terre avec banquette d’artillerie, dit "la grande plate-forme", adossé à la courtine en empiétant largement dans l’enceinte sur les enclos attenant à l’église du château et à l’arsenal. Au revers du front opposé, la grande excavation à ciel ouvert desservant la poterne sur la Penfeld fut couverte de voûtes en deux vaisseaux la transformant en vaste souterrain casematé. Sur le front d’entrée, Vauban fit perfectionner la fausse-braie, notamment en faisant démolir à ras-de-terre les trois tours romaines saillant sur la courtine, qui avaient survécu jusque-là.
Les deux tours de l’ouvrage d’entrée reçurent des voûtes au niveau du second étage, qui permettaient à l’édifice de demeurer fonctionnel en cas de destruction de son toit ; le parapet de sa galerie à mâchicoulis fut refait en remplaçant le crénelage du XVe siècle par des créneaux de fusillade. La terrasse du ravelin reçut un nouveau parapet, muni de treize embrasures à barbette ; on améliora son fossé, en revêtant sa contrescarpe et en y construisant deux batardeaux qui l’isolait de celui du château.
Parallèlement, l’ensemble des dehors du front d’entrée était profondément remanié, notamment par le compartimentage de la tenaille, recoupée de fossés internes imposant le passage par deux portes successives et isolant sur les côtés deux réduits en forme de demi-lune. Le chemin couvert fut pourvu de traverses et prolongé par une ébauche de glacis.
L’intervention de Vauban la plus lourde porte sur le donjon. Le nouveau couronnement en plate-forme de la vieille tour ducale n’avait pas été aussi achevé qu’il apparaît sur la vue de 1676. La voûte supérieure était construite, mais non terrassée, les consoles de mâchicoulis n’étaient pas encore cassées au nu du parement et le parapet à embrasures restait à faire.
Dans son projet, Vauban proposait d’achever ces travaux et de "terrasser la grande tour de main droite depuis le haut jusques en bas, et murer les vuides de ses croisées et lucarnes, mesmes les vieilles portes de son escalier, faisant après une plate-forme de charpenterie au-dessus...". Cette solution radicale, faisant de la tour nord une masse passive et en quelque sorte le cavalier du bastion Sourdéac, la rendait aussi capable de résister à l’impact de l’artillerie au moins autant que les autres tours d’angle, plus fortes et moins exposées. Le comblement n’était pas un parti économique, car le vide intérieur des anciens étages de la tour fut préalablement armé et contreventé sur toute sa hauteur de gros murs radiants se recoupant en croix de Saint-André. La plus importante transformation proposée consistait à "joindre aussi ces deux tours (nord et sud) ensemble par une voûte qui traversera la cour entre deux, portée sur un mur de traverse [...] et la soutenir par devant par un autre mur de 7 pieds réduits d’épais à cause de l’épaisseur du parapet qu’il faudra faire au-dessus et ne pas oublier de faire deux grandes portes au-dessous. Le bas de ces deux voûtes servira de magasin aux affûts, au-dessus duquel on pourra faire encore deux grands étages de planchers qui serviront à tout ce que l’on voudra […] ; ces deux tours jointes ensemble par le moyen de cette voûte produiront une batterie fort eslevée qui commandera parfaitement bien au port, à la ville et à la campagne". Ce programme fut exécuté à la lettre, à l’exception des planchers intermédiaires, non réalisés, sans doute faute de leur avoir trouvé une utilité.
Cette refonte du donjon était achevée en 1692. Onze ans plus tard, en 1703, l’écroulement d’une partie de la face sud du bastion Sourdéac imposa la reconstruction intégrale de la moitié sud de son revêtement, soit une face et un flanc complet, jusqu’à l’angle de capitale inclus, avec une nouvelle casemate triple à embrasures dans le flanc, reliée directement à la cour du donjon par un ample escalier souterrain. La reconstruction emploie un parement très différent de celui de l’oeuvre du XVIe siècle, moins luxueux ; les guérites et le parapet furent alors globalement renouvelés. Ce chantier fut dirigé par le nouveau directeur des Fortifications de Bretagne habitant Brest, l’ingénieur Isaac Robelin.
Après ces grands travaux de l’époque de Vauban, une seule tour du château avait conservé un aspect gothique non remanié, c’est-à-dire sans voûtement ni modification du parapet et avec son toit conique : la tour Azénor.
(Christian Corvisier, 2011).
Notes :
(1) Jones (M.), "Brest sous les Anglais (1342- 1397)", Les Cahiers de l’Iroise, janvier-mars 1969, t. 16, p. 2-12, et Ducal Brittany, 1364- 1399, Oxford, 1970, p. 143-171.
(2) Pour l’état de la question et l’historiographie de la controverse, voir Ropars (J.-M.), "La ville de Brest au Moyen Âge", Archéologie en Bretagne, 1981, n° 30, p. 85-98.
(3) Leguay (J.-P.), Martin (H.), Fastes et malheurs de la Bretagne ducale (1213-1532), Rennes, 1997, p. 120-122.
(4) Voir Jones (M.), 1969 et Ropars (J-M.), "Le plan du castellum romain de Brest", Archéologie en Bretagne, 1979, n° 24, p. 43-50.
(5) D’après l’inventaire Turnus Brutus du registre de la Chancellerie, fol. 279, qui mentionne sans détail la relation de ce marché au 41e feuillet du registre. Cité par Leguay (J.-P.), Un réseau urbain au Moyen Âge. Les villes du duché de Bretagne aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1981, p. 283 et note 4.
(6) Registre de la Chancellerie, 1464, f° 30 v°, cité par E. Fleury.
(7) La tour de César est nommée "tour du Parc" dans les plus anciennes mentions la concernant.
(8) Le chemisage de la tour Madeleine, très lisible à l’intérieur, a été mis en évidence depuis longtemps, en premier lieu par Pilven (G.-M.) (c. 1855) ; voir notamment Levot (P.), Histoire de la ville et du port de Brest, Paris, 1864,t. 1, p. 205 et La Barre de Nanteuil (A.), "Brest", Congrès archéologique de France, Brest et Vannes, 1914, p. 10.
(9) Cité par Leguay (J.-P.), op. cit., p. 51.
(10) Les appellations respectives "tour Française" et "tour de Brest" ont été interverties d’une tour à l’autre à l’époque de Vauban, en sorte que la première s’applique aujourd’hui à la tour sud et la seconde à la tour ouest, à l’inverse de l’usage aux XVIe et XVIIe siècles.
(11) Cité par La Barre de Nanteuil (A.), op. cit., p. 5. Pour la tour du Parc, voir ci-dessus.
(12) D’après la lettre de Villegaignon citée par Levot (P.), op. cit., t.I, p. 60.
(13) Vincennes, SHD, Génie,art. 8 section 1, Brest, carton 1.
"Maître et serviteur des œuvres de Brest", intervention au château de Brest en 1405, 1423-1426.