Le magasin à poudre de l´île d´Arun a été construit en 1692-1693 sur des plans de l´ingénieur Mollart. Ce type d´édifice logistique était régi par un plan type, dû à Vauban lui-même, et variant selon la capacité recherchée. Celle du magasin à poudre de l´île d´Arun est comprise entre 248 t (sur trois niveaux de barils de poudre selon le standard vaubanien) et 496 t (sur six niveaux de barils, soit la capacité maximale). Mollart, on le sait, travaillait en étroite collaboration avec Vauban et l´intendant Desclouzeaux, pour qui il dessina les plans de nombreux bâtiments de l´arsenal, les aménagements de la crique de Pontaniou (avant Choquet de Lindu) et suivit de nombreux travaux de fortification.
De plan rectangulaire orienté est-ouest (les dimensions standards des magasins vaubaniens correspondent à une capacité de stockage théorique de 50 t), aux murs de maçonnerie très épais (plus de 3 m pour les murs latéraux contre 1,3 m pour les murs pignons), le magasin à poudre est doté d´évents d´aération en chicane. Le bâtiment est voûté en arc brisé à "l´épreuve de la bombe". Sa couverture originelle fait appel à un dallage en pierre de taille posé sur un massif de maçonnerie de moellon. Huit contreforts (quatre sur chaque façade latérale) ont, semble-t-il, été ajoutés vers 1717-1718 afin de verticaliser le souffle d´une éventuelle explosion toujours à craindre. L´extrados de la voûte a été revêtu d´une charpente et d´un toit en ardoise à la fin du 19e siècle.
Sur l´île d´Arun, le magasin est doté, dès l´origine, de trois niveaux planchéiés autorisant un stockage sur plus de 830 m². Les barils de 100 ou 200 livres de poudre noire étaient hissés grâce à un palan aux niveaux supérieurs par des "écoutilles" percées dans le plancher ou par les baies des pignons. Ils étaient "engerbés", c´est-à-dire entassés sur quatre à six rangs de hauteur. Chaque pignon est doté d´une porte double inversée (porte intérieure et extérieure) et de trois doubles-fenêtres. Plusieurs baies ont également été ouvertes dans le mur sud dans l´intervalle d´un contrefort à l´autre. À chaque niveau correspond au pignon une baie à un vantail donnant de la lumière et permettant de renouveler l´air. Le mur de clôture devait permettre selon l´état des travaux "d´avoir une place pour sécher la poudre", l´avis de l´ingénieur en 1693 étant de "pousser le mur qui regarde le soleil couchant le plus loin qui se pourra". Enfin, guérite, barrière et corps de garde permettent d´assurer la surveillance du site. Par sécurité, tous les éléments métalliques du magasin, gonds, serrures, pentures de porte, clous (le plancher, lui, est chevillé) sont en bronze ou laiton afin d´éviter la formation d´étincelles qui pourrait mettre le "feu aux poudres". Enfin, pendant les manutentions, le port de sabots de bois est obligatoire.
Dès 1866, le magasin de l´île d´Arun est qualifié de "dépôt secondaire" dans la Revue maritime et coloniale. L´îlot est désaffecté au début de la Première Guerre mondiale et l´ensemble est vendu aux enchères en 1927.
Toujours propriété privée, le magasin à poudre de l´île d´Arun demeure le seul édifice logistique de la période vaubanienne en rade de Brest. Son état sanitaire demeure satisfaisant, cependant une restauration des enduits extérieurs serait la bienvenue. En raison de la rareté de ce type d´édifice en Bretagne, une protection au titre des Monuments historiques est très souhaitable afin de conserver la trace de l´évolution du stockage des poudres.
L´île d´Arun puis l´île des Morts : deux implantations particulières à l´échelle de la rade de Brest
Implanté le plus fréquemment dans un bastion creux ou dans une dépression artificielle faisant cour pour le dissimuler et le protéger des tirs de l´ennemi, le magasin à poudre est en outre isolé de la place forte par un mur de sécurité. Le choix de Vauban d´un stockage distant de la place forte de Brest et obligeant à traverser la rade s´explique par la nécessité de rayonner sur l´ensemble du périmètre défensif étendu à la rade, au goulet et au vestibule. De l´île d´Arun, où des "canons-bollards" permettaient d´échouer sur la grève à marée basse, la poudre était acheminée par chaloupe au port arsenal de Brest, soit pour l´armement des navires en Penfeld ou mouillés en rade, soit pour être stockée dans les magasins à poudre des batteries et forts de la rade. Selon les propres estimations de Vauban dans son Traité de la défense des places, une fortification à quinze bastions de circuit, le cas de Brest, nécessite "en temps de guerre" de 7 500 à 9 000 hommes. De la même manière, il parvient à estimer l´artillerie nécessaire à la défense de la place forte, soit 144 canons et 60 mortiers, ce qui lui permet d´estimer la quantité nécessaire de poudre, au total 350 t, à produire et à entreposer. Le plan de Brest de 1740 de Frézier ne représente que deux magasins à poudre situés du côté de Recouvrance (magasin à poudre du bastion de Lesneven au nord et magasin à poudre de la Pointe au sud 11), le château faisant citadelle dispose également de lieux de stockage souterrains. Dans la rade, chaque fortification dispose d´un ou plusieurs magasins à poudre.
Cent ans plus tard, la capacité du magasin de l´île d´Arun n´étant plus suffisante, on envisage pour la première fois la construction d´un nouveau dépôt de munitions sur l´île des Morts (1791). Les travaux s´échelonnent de 1808 à 1814. La Revue maritime et coloniale de 1866 précise que les établissements de la pointe à Brest du côté de Recouvrance se composent "d´une poudrière et d´un parc, où l´artillerie confectionne dans des ateliers convenablement isolés les uns des autres, pour diminuer les chances d´incendie ou d´explosion, la poudre fulminante, les cartouches, gargousses, fusées, feux de Bengale et autres artifices de la marine. Ces deux établissements datent : pour la poudrière, de 1667 ; pour les ateliers, de diverses époques, depuis 1821 jusqu´en 1856, année où l´on a construit l´embarcadère pour monter les projectiles".
En raison de l´augmentation de la portée des projectiles et de leur capacité nouvelle à se superposer en un même point, les poudrières de l´île des Morts sont progressivement abandonnées dans la décennie 1880 au profit de celles de la pyrotechnie Saint-Nicolas à Guipavas".
(Lécuillier Guillaume, 2011).
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