"On travaille très vivement au retranchement de Roscanvel accommodé au fort qui s’y doit bâtir, à la construction duquel nous ne commencerons à travailler qu’après que le retranchement sera tout à fait achevé. Comme la certitude des fonds n’est venue que fort tard, je ne me suis pas vu assez de temps devant les mains pour entreprendre de mettre ledit fort en défense assez tôt, mais bien le retranchement,de manière toutefois qu’en le faisant, je ne laisse pas d’élever un des côtés du fort. Cependant comme je ne puis compter pour cette année [1695] que sur le retranchement, et qu’il est d’une nécessité absolue de pouvoir garder cette presqu’île, soit que l’ennemi entre ou n’entre pas dans le goulet, j’ai pris le parti de le faire très bon. C’est pourquoi, j’ai donné quatre toises de largeur à son fossé sur deux de profondeur,le terrain étant ferme, et la plus grande partie du roc qui se soutient très bien ; on ne lui a donné que très peu de talus, d’où il s’en suit qu’il n’y a homme qui puisse entrer ni sortir dudit fossé sans échelle. Ce retranchement est de plus fraisé et palissadé. Comme votre Majesté le verra par son profil, le parapet aura douze pieds d’épais et sera très bien gazonné ou plaqué devant et derrière ce qui est la même chose. Il sera de plus garni de bonnes batteries sur les angles saillants et sur les flancs. On voit de là le pays devant soi jusque bien au-delà de l’extrême portée du canon. Cela, joint à l’aplanissement des haies et fossés et à quelques bouts de retranchements que je ferai faire en moins de 15 jours sur les anses plus abordables du côté de la rade, nous mettra en état de conserver cette presqu’île comme une place, ce qui assurera la rade et le goulet, qui est le moyen unique et certain pour empêcher le bombardement de Brest". Vauban au roi, 15 juillet 1695
La question de la défense des batteries du goulet de Brest du côté de la terre (la "gorge") est aussi posée par Vauban. Lors de sa première inspection en 1683, l’illustre ingénieur choisit d’élaborer pour le goulet un nouveau plan type d’ouvrage : une grande batterie basse fortifiée latéralement par des branches tombantes crénelées, surmontée d’une batterie haute de bombardement, elle même protégée par une enceinte et une tour faisant réduit (ou "redoute carrée" dans le langage vaubanien). Ce nouveau modèle n’est appliqué qu’au Mengant (achevé dès 1687) mais les sources archivistiques témoignent de projets identiques pour les batteries de Cornouaille et de la pointe des Espagnols. L’étalement des crédits donne à Vauban le temps d’échafauder un nouveau plan pour la défense des batteries du goulet. Pour protéger les sept batteries de la côte sud, dite côte de Cornouaille, d’une attaque à revers, il propose en 1689 une nouvelle solution qui prend la forme d’un retranchement linéaire continu soutenu par trois redoutes afin, de "couper la gorge de la presqu’île de Roscanvel, pièce très dangereuse pour Brest". "Toutes celles [les batteries] de Cornouaille étant fermées par le seul retranchement de Roscanvel, seraient bien sûres dans peu de jours, mais non celles de Léon qu’il est nécessaire de fortifier séparément, du moins les principales". Ainsi, pour des raisons évidentes d’économie et d’adaptation au terrain -"la presqu’île" - qui rappelle les éperons barrés antiques, l’ingénieur privilégie la défense globale à celle du local. Mais ce projet est une nouvelle fois remanié au début de l’année 1694 : "Le retranchement tracé il y a cinq ans, ne suffirait pas pour défendre la presqu’île et serait à charge et très dangereux à défendre, à charge parce qu’il faudrait 2 000 ou 3 000 hommes pour le border suffisamment, et dangereux parce que, s’il était forcé, il ne s’en sauverait pas un seul homme. Capable de tenir 400 ou 500 hommes, ce fort pourrait se faire en fort peu de temps, spécialement si on ne le fait que de terre, bien fraisé et palissadé avec un petit chemin couvert, et épargnerait là de fort grosses gardes". Dans une relation à Barbezieux en juillet 1694, Vauban évoque le campement à Quélern dès juin, à 5 ou 600 pas de l’endroit de l’attaque plage de Trez Rouz, d’un bataillon de troupe de marine à 8 compagnies soit plus de 750 hommes, ainsi qu’un autre à Crozon (ce dernier doté d’un équipage d’artillerie en 1695). Ces campements sont renouvelés de juin à septembre 1695 et les troupes doublées. Ces troupes ont vraisemblablement servi de main-d’œuvre pour le creusement des fossés : "Le terrain est dur comme du plomb, pierreux et plein de rochers, mais il se soutient droit comme une muraille" (Vauban, juin 1695).
On le voit, le projet de retranchement de Roscanvel n’a pas été simple à échafauder : les fortifications sont finalement tracées dans l’urgence de l’attaque de Brest en mai 1694 et mises en œuvre la même année par l’ingénieur Traverse sous le contrôle du grand ingénieur. Le projet final se présente comme un retranchement enligne brisé soutenu en son milieu par un fort carré bastionné destiné selon les propres termes de Vauban à "se défendre comme une place". Fin 1694, Le Peletier donne l’instruction suivante à Vauban : "Si l’on ne peut pas construire le fort entier, je serais d’avis de faire au moins le polygone qui regarde la gorge de la presqu’île et les deux branches de retranchement jusqu’à la mer". Réalisé en six campagnes de travaux et avec très peu de fonds, seuls le retranchement précédé de palissades (1694-1697, dont l’engazonnement et la pose des terres de placage) et une demi-lune du fort (1698-1699) sont achevés à la fin du 17e siècle. Deux portes à pont-levis (portes de Crozon et de Camaret, dite aussi porte de secours) ont été percées dans le retranchement ; elles sont respectivement flanquées par le bastion de Camaret (à l’ouest) et le demi-bastion de Langeron qui constituent le front sud du fort carré prévu originellement. Pour les besoins du projet, un hameau a dû être entièrement rasé. Au nord du retranchement est mentionnée, dès 1694, la batterie de Tremet qui protège l’anse de Camaret. À l’est, du côté de la rade, un "petit retranchement" se poursuit sur toute la côte jusqu’à une batterie de 10 canons. Quelques travaux sont réalisés durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) sur le flanc est du retranchement, avec notamment la création d’une contre-garde, d’un luneton et d’une poterne. Du retranchement de Vauban aux fortifications extra urbaines (grands travaux réalisés de 1777 à 1784 pendant la guerre d’Indépendance américaine), les lignes de Quélern garderont longtemps une dimension fortement géostratégique. Un réduit est construit de 1852 à 1856sur les plans quelque peu modifiés du fort de Vauban. Les anciens retranchements vaubaniens apparaissaient encore à l’ouest de ce dernier jusqu’en 1971 au moins. Tout porte à croire que le réduit de Quélern – terrain militaire actif – conserve des éléments plus anciens : demi-lune, chemin couvert avec places d’armes, traverses et bastions sud.
(Guillaume Lécuillier, 2009 in Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, 2011).
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