Juin 1940
Dès son arrivée en Bretagne en juin 1940, l’Allemagne nazie s’intéresse tout naturellement aux infrastructures portuaires et aux batteries côtières. Les formes de construction navale comme celles de Brest et Lorient reçoivent de nombreux navires de la marine de guerre allemande (Kriegsmarine) au cours du conflit. Lorient est choisie comme base de sous-marins de l’Atlantique pour attaquer les convois ravitaillant les Îles Britanniques. Le 25 octobre 1940, la construction des U-Boote-Bunkers est programmée par Hitler et l’amiral Dönitz à Keroman. Leur objectif est d’augmenter la disponibilité des U-Boote pour la Bataille de l’Atlantique. Durant le conflit, 1 250 sous-marins ont été mis en service par l’Allemagne nazie. Sur 1 149 carénages de sous-marins effectués en France, 492 le sont à Lorient.
L’occupant travaille également à la construction de batteries de canon à longue portée comme celle nommée Graf Spee située non loin de la pointe Saint-Mathieu près de Brest. D’une portée effective comprise entre 21 et 28 km grâce à ses quatre canons Krupp modèle 1906 de 28 cm de calibre, elle devait permettre de défendre les approches du vestibule. Les principaux ports de Bretagne reçoivent une importante défense antiaérienne composée de batteries de campagne en attendant des constructions permanentes en béton. Enfin, les aérodromes bretons sont investis par la Luftwaffe qui agrandit les pistes et y construit de nombreux abris bétonnés. Divers types d’avions y enchaînent missions de reconnaissance (patrouilles maritimes) ou météorologiques, de chasse et de bombardement en Atlantique nord.
Le Mur de l’Atlantique (Atlantikwall)
La directive n° 40, du 23 mars 1942 du commandant suprême de la Wehrmacht, définit le cadre, la stratégie générale et les instructions de combat pour la défense des côtes européennes (voir les extraits de la directive n° 40 en annexe). Elle marque le lancement officiel du Mur de l’Atlantique (Atlantikwall), fortifications conçues pour empêcher une invasion du continent européen depuis la Grande-Bretagne. En Bretagne, les Festungen (forteresses) de Brest, Lorient, Saint-Malo et Saint-Nazaire doivent protéger les bases de sous-marins et les grands ports.
Le Mur de l’Atlantique est réalisé à partir d'août 1942 le long des côtes européennes, de la Norvège aux Pyrénées et dans les îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey, Sercq, et Alderney - Aurigny), seuls territoires britanniques sous contrôle de l’Allemagne nazie. À partir de juillet 1943, le Mur du Sud (Südwall) est également élevé sur les côtes méditerranéennes.
Des héritages encore non protégés et menacés
En certains points du littoral breton, notamment sur les plages, l’érosion marine entraîne, avec le recul du trait de côte, la dégradation d’ouvrages de fortifications ou encore le basculement de bunkers à la mer. Ce phénomène pose à la fois des questions de conservation du bâti et de sécurité.
Les bunkers construits par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale ont été élevés sur le littoral ou dans l’intérieur des terres, soit sur des terrains militaires, soit sur des parcelles publiques ou privées réquisitionnées par l’occupant. Plages, grèves, champs en bordure du littoral, routes, carrefours et ensembles fortifiés - couverts ou cernés de mines - étaient également encombrés par des obstructions diverses : réseaux de barbelés, poteaux, pieux dits "asperges de Rommel", "hérissons tchèque", tétraèdres, barrières Cointet, etc. Dans les archives allemandes, on ne trouve pas d’inventaire exhaustif des fortifications avec leur localisation précise. Il existe cependant des états de construction, des cartes localisant les ensembles fortifiés avec leur numérotation, des plans de minages voire des plans détaillés de certains ensembles fortifiés (essentiellement des batteries de côte).
A la Libération, ces bunkers - imposés par l’occupant et souvent construits avec l’aide d’entreprises françaises - ont subi une désaffectation rapide marquée tout d’abord par des récupérations d’équipements et de matériels. Les destructions sont nombreuses dans l’immédiate après-guerre et concernent principalement les petits ouvrages fortifiés : tranchées, fossés antichars, "Tobruk*", soutes à munitions... En raison de la pénurie de logements, certains bunkers sont habités. Les opérations de déminage et d’évacuation de munitions (missions de désobusage et de débombage) s’étalent jusqu’en 1947 (Munitions historiques et vestiges de guerre constituent toujours un danger).
Un recensement des "ouvrages ex-allemands" a été réalisé entre 1944 et 1947 par le ministère de la Défense nationale à des fins documentaires et stratégiques. Ces inventaires ne sont malheureusement pas exhaustifs car ils ont avant tout pour objectif la réutilisation des ouvrages ex-allemands et l’acquisition des parcelles concernées.
En application de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre et "lorsque l’intérêt des travaux justifie la dépense", l’Etat prend en charge les "travaux de destructions d’ouvrages militaires de toute nature établi par l’ennemi" ou les "travaux de remise en état de terrains". Lorsque le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme décide, sur avis conforme du ministre de l’Agriculture, de ne pas procéder aux travaux, "le sinistré reçoit une indemnité égale aux préjudice exceptionnel causé par le maintien des lieux dans leur état". Les propriétaires des parcelles sont libres de réutiliser ou pas les bunkers. Sur autorisation, ils peuvent les détruire à leur frais. Blindages - notamment les embrasures de tir, les cloches, les portes - et les armements de nombreux bunkers sont récupérés par des ferrailleurs pour en recycler l’acier.
Non soumis à l’impôt, les bunkers ne sont pas cadastrés (sauf réutilisation postérieure ; il en est de même pour les fortifications françaises sur le cadastre ancien) : sans existence du point de vue fiscal, ils appartiennent au seul propriétaire de la parcelle. Non cartographiés et non protégés, ils sont le plus souvent détruits lors des aménagements urbains sauf en de rares exceptions.
Si le "bunker" et les sites de la Seconde Guerre mondiale se sont progressivement imposés comme éléments du patrimoine dans les années 1990, notamment par le biais de publications spécialisées, ils ont fait et font toujours l’objet d’un pillage effréné. En déshabillant les bunkers de leurs éléments de second œuvre : canons, blindages, portes blindées, tuyaux de ventilation, équipements (poêles de forteresse, boitiers de connexion téléphonique, prises, câblage, etc.), les collectionneurs de militaria participent paradoxalement à leur déclassement patrimonial. En la matière, deux visions s’opposent : les uns souhaitent pouvoir visiter des bunkers "fossilisés" ou "dans leur jus" (Ces bunkers sont de moins en moins nombreux, il se situent le plus souvent dans des zones difficiles d’accès et contrôlées), les seconds arguent de "sauver", "conserver" voire "valoriser" les bunkers en démontant les équipements qui s’y trouvent encore. De nombreux "objets" sont ainsi détenus par des collectionneurs privés. Les bunkers dans lesquels certaines collections sont présentées attirent un large public.
Près de deux cents "architectures militaires" sont protégées au titre des Monuments historiques en Bretagne : il s’agit en majorité de fortifications de l’époque médiévale. Sur le littoral, une cinquantaine d'ensembles ou d'ouvrages fortifiés conçus pour la défense des ports bretons et des archipels sont également protégés. En 2022, seule l’ancienne station radar allemande de Port-Coton à Bangor (Belle-Île) est protégée au titre des Monuments historiques en Bretagne comme élément du Mur de l’Atlantique.
Parmi les héritages militaires, ceux de la Seconde Guerre mondiale, encore fortement liés à des moments clés de la mémoire collective, stimulent pourtant les passions de nombreuses associations, notamment dans le domaine de la connaissance et de la reconstitution historique, et séduisent un large public attiré par le "tourisme de mémoire" (A Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique), près de la Pointe Saint-Mathieu à Plougonvelin ou à la Cité d’Aleth à Saint-Malo (dont le projet a bénéficié du financement du Loto du patrimoine), la réhabilitation de grands postes de direction de tir nazis en musée est un succès touristique et économique).
Objectifs de l’étude des vestiges de la Seconde Guerre Mondiale en Bretagne
L’étude portera sur une sélection d’ensembles fortifiés choisis en fonction de leur intérêt historique, implantation, répartition géographique, fonction et intérêt stratégique (Défense, abri, logistique, base aérienne, radar, radionavigation, commandement, hôpital…), typologie, état de conservation, intégration paysagère, perspective de valorisation/réutilisation... Les anciennes bases de sous-marins de Brest et de Keroman à Lorient font partie de ce corpus. Elle permettra enfin d’éclairer des choix en termes de protection et de valorisation à l’échelle régionale : à Brest, le bunker de Keranroux qui compte parmi les mieux conservés en France, se dégrade d’année en année et n’est pas protégé au titre des Monuments historiques. On pourrait également penser au fort du Talud à Ploemeur, modernisé par les allemands avec quatre canons de 17 cm et qui a conservé son télémètre sous coupole blindé.
* Tobruk : Le plus petit bunker du Mur de l’Atlantique est aussi le plus connu en raison du nombre important d’ouvrages construits : sur le terrain où il est le plus souvent enterré, on le reconnaît à son emplacement de tir circulaire. Il s’agit d’un poste d’observation et de tir dit Ringstand pour un équipage de deux soldats. A partir de 1943, le Ringstand est désigné Tobruk-Stand en référence aux bunkers italiens (construits avant janvier 1941) observés lors de la Capture de Tobrouk en Lybie par les forces de l’Axe en juin 1942. Dans le secteur de la 7e Armée (AOK 7), de l’Orne à l’embouchure de la Loire (en incluant la rive gauche jusqu’à Préfailles), 3 814 Tobruk-Stände sont construits ou sont en construction au 1er janvier 1944. Dans ce secteur, plus de 7 300 emplacements ouverts pour mitrailleuse (Offene M.G.-Stände) ont également été aménagés à cette date.
architecte