Le Monument aux marins morts pour la France lors de la Première Guerre mondiale est situé à l'extrémité de la pointe Saint-Mathieu, non loin de l'abbaye éponyme. Inauguré en 1927, il constitue le premier élément du Mémorial national aux marins morts pour la France, qui comprend également deux espaces aménagés au début des années 2000 et inauguré le 8 mai 2005 : un parvis pour les cérémonies commémoratives, l'esplanade du Souvenir français, et un lieu dédié à la mémoire des marins militaires ou civils morts pour la France, aménagé dans un ancien corps de garde construit en 1854, le Cénotaphe aux marins.
Le monument aux marins
L'édification de ce monument répond au voeu du ministre de la Marine Georges Leygues (1857-1933), qui rappele, le 23 juin 1920 devant les députés, le rôle héroïque des marins d'État, de commerce et de pêche : "Le peuple français ne se rend pas encore compte du rôle que le facteur naval a joué pendant la guerre et ce qu'il doit aux marins. Sans la marine, nos ports auraient été détruits, nos côtes (...) auraient été ravagées, la chaîne sans fin des navires marchands, commerce et pêche, qui reliait notre pays à tous les continents, qui les ravitaillaient en vivres, en matières premières, en produits manufacturés, aurait été rompue (...). Il faut que justice soit enfin rendue à ces braves et que la nation connaisse le rôle magnifique qu'ils ont joué (...). Après un effort pareil nous voulons dire que nos marins ont été dignes de nos soldats".
Une proposition de loi est présentée le 15 décembre 1920 par l'amiral Émile Guépratte (1856-1939), député du Finistère, et quarante quatre autres députés, afin d'ériger "un mausolée destiné à glorifier la mémoire des marins de guerre et de commerce disparus au cours des hostilités, (...) taillé face au large dans une des falaises de nos côtes et à un croisement de routes maritimes judicieusement choisi".
Le 2 mars 1922, un projet de loi portant ouverture d'un crédit de 200 000 francs en vue de l'érection d'un "monument commémoratif en l'honneur des marins des flottes de guerre et de commerce morts pour la France pendant la guerre 1914-1918", est déposé par le ministre de la Marine, Flaminius Raiberti, au nom du président de la République. Le Sénat apporte son soutien au projet en juillet 1923.
Après avoir été un temps envisagée aux Invalides, c'est finalement sur le littoral finistérien que l'installation du monument est décidée en vertu de la loi promulguée le 26 juillet 1923 par le président Millerand. Le choix de la pointe Saint-Mathieu est ainsi justifié par le ministre de la Marine et le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts : "tous les points du littoral français paraissent dignes de l'honneur de glorifier les marins disparus, mais il en est un qui se désigne par lui-même par sa situation géographique, c'est la pointe extrême du Finistère qui s'avance comme une proue dans la mer. Une falaise de cette Bretagne, patrie des gens de mer, où se recrutent les deux tiers de nos marins de guerre et de commerce, semble un piédestal préparé par la nature elle-même pour recevoir ce monument, et l'emplacement choisi doit être l'extrémité du Cap Saint Mathieu, qui, placé dans un site magnifique, domine l'immensité des mers". Faut-il voir dans ce choix l'influence encore réelle de l'amiral Guépratte, promeneur familier des chemins côtiers reliant Le Conquet à la pointe Saint-Mathieu ?
La forme que prendra le monument ainsi que son emplacement exact sur la pointe sont entérinés en novembre 1924. Trois emplacements avaient été envisagés : la petite esplanade située à l'ouest de l'abbaye, où se trouvent les logements des sémaphoristes ; l'abbaye elle-même où serait placée une dalle recouvrant le corps d'un marin inconnu, dalle qui serait accompagnée d'un monument de faible dimension devant l'abbaye ; le promontoire situé au nord-ouest de l’abbaye, sur lequel est édifié un ancien fortin servant d'entrepôt. C'est finalement cette dernière option qui est retenue car elle offre le moins de contraintes en terme d'aménagement, et ne gêne pas la signalisation du chenal du Four depuis le feu auxiliaire placé dans l'enceinte de l'abbaye.
La réalisation du monument est confiée au sculpteur finistérien René Quillivic (Plouhinec 1879 - Paris 1969), déjà chargé depuis 1919 par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts d’une mission sur la commémoration des morts de la Grande Guerre dans le département du Finistère. René Quillivic réalise une oeuvre en pierre de Kersanton (provenant de la carrière Omnès de l'Hôpital-Camfrout) constituée d'un massif vertical maçonné en grand appareil, de section carrée, haut de 17 m, couronné d'un buste colossal (hauteur 2 m) de femme léonarde en coiffe de deuil, tête légèrement inclinée vers l'épaule droite et mains jointes sous le menton. Cette représentation d'une figure féminine est fidèle à la manière de l'artiste qui, dans la plupart de ses monuments aux morts (Bannalec, Carhaix, Coray, Fouesnant, Plouhinec, Plouyé, Plozévet, Pont-Croix...), préfère l'évocation de la douleur morale du survivant - le plus souvent une mère ou une fille, mais parfois un père - au motif habituel du soldat. Les quatre faces du monument sont ornées chacune d'une série de bas reliefs stylisés symbolisant la participation des marins de la Royale, de la Marchande et de la Pêche à la sauvegarde de la patrie. En face antérieure, de haut en bas : la dédicace AUX MARINS 1914-1918, le visage énergique d'un jeune marin vu de trois-quarts, l'inscription BREST ; face latérale gauche : une rose des vents, deux voiliers en mer, un navire de guerre aux cheminées fumantes, les deux insciptions LORIENT et BIZERTE ; face latérale droite : une étoile, un bateau de pêche monté par trois hommes et deux autres bateaux en arrière plan, un trois-mâts toutes voiles dehors navigant sur une mer calme, les deux inscriptions CHERBOURG et ROCHEFORT ; face postérieure : une ancre de marine, un navire de commerce évoluant au dessus d'un sous-marin en plongée et lui même au dessus d'un banc de poissons, l'inscription TOULON. La maquette préparatoire à ce monument, haute de 2,50 m, est achetée par l'Etat en 1930 et déposée à l'hôpital des Armées de Lorient lors de son inauguration vers 1936 ; elle est aujourd'hui conservée dans la chapelle de cet établissement et fait actuellement l'objet d'une procédure de classement au titre des objets mobiliers.
Le monument est inauguré le dimanche 12 juin 1927 par Georges Leygues, redevenu entre temps ministre de la Marine, en présence de plusieurs personnalités politiques, militaires et religieuses et d'une assistance nombreuse, cérémonie au cours de laquelle évoluent à proximité plusiers navires de guerre, sous-marins, bateaux de pêche, canots de sauvetage, yachts, etc. ainsi qu'une escadrille d'hydravions.
Le monument, comme l'ensemble du mémorial, est aujourd'hui propriété du syndicat mixte d'aménagement de la pointe Saint-Mathieu, et sa gestion est confiée depuis 2005 à l'association Aux Marins, association à but non lucratif (loi 1901) qui a sollicité sa protection avec l'accord du propriétaire.
Les autres parties du mémorial
La commune de Plougonvelin s'est portée acquéreur, en 1990, des emprises militaires désaffectées situées aux abords du monument aux marins, afin de les réhabiliter. La propriété de l'ensemble est ensuite transférée au syndicat mixte d'aménagement de la pointe Saint-Mathieu qui, au début des années 2000, aménage une partie des terrains en un parvis pour les cérémonies commémoratives, l'esplanade du Souvenir français, et un ancien corps de garde en un lieu de recueillement, le Cénotaphe aux marins.
L'histoire militaire de cette partie de la pointe située au nord-ouest de l'abbaye est ancienne, mais elle se précise au 17e siècle dans le contexte des conflits opposant la France à l'Espagne, à l'Angleterre ou aux Provinces unies, en raison motamment de la position stratégique de Saint-Mathieu à l'extrémité du royaume et aux menaces de raids et débarquements ennemis, et à la proximité des ports du Conquet mais surtout de Brest dont l'arsenal est fondé par Richelieu en 1631. Vauban et ses successeurs, jusqu'au milieu du 19e siècle, établissent une série de batteries côtières, de réduits défensifs et de casernements afin d'assurer la défense de cette façade maritime occidentale de la Bretagne. Saint-Mathieu compte deux batteries à la chute de l'Empire en 1815, la plus importante se déployant devant l'abbaye à l'emplacement du sémaphore actuel, la seconde, de forme semi circulaire, appuyée contre une parcelle du nom de Boudou Bras (le grand champ des habitations) et qui correspond au site du mémorial. C'est donc sur l'emprise de cette batterie qu'est implanté le monument aux marins et aménagée l'esplanade du Souvenir français.
Une reconstitution de l'appareil défensif des côtes débute au cours des années 1830, avec notamment la mise en oeuvre de séries standardisées de tours-réduits, corps de garde et redoutes (forts dotés d'une caserne), le but étant de compléter le programme des tours-modèles du Premier Empire (type 1811) interrompu en 1814. Le fortin de la pointe Saint-Mathieu, construit en 1854, est un corps de garde crénelé modèle 1846, n° 2, équipé d'un armement de huit canons et abritant jusqu'à quarante hommes. Le site est également équipé en 1888 de deux canons de 95 mm Lahitolle (batterie de semonce) encore visibles aujourd'hui.
L'ancien corps de garde est réaménagé par l'architecte rennais Thierry Mercadier, adjoint de l'ACMH Daniel Lefèvre (tous deux chargés du projet de mise en valeur du site de la pointe Saint-Mathieu), afin d'y créer un espace dédié à la mémoire des marins, militaires ou civils (marins de commerce, sauveteurs en mer, marins-pêcheurs...), péris en mer pour la France durant tous les conflits, afin que les familles soient assurées que le sacrifice et la douleur seront à jamais l´objet d'un témoignage. Le cénotaphe est inauguré le 8 mai 2005 par François Goulard, secrétaire d´Etat aux transports et à la mer et Louis Caradec, maire de Plougonvelin. Ses parois intérieures sont recouvertes, au gré des donations, de photographies anonymes des marins disparus. A l'espace concret du fortin est associé un site internet (http://www.auxmarins.com) qui permet de rendre accessible à tous ce lieu de mémoire nationale.
Intérêt du monument et proposition de protection
Le Monument aux marins morts pour la France, inauguré le 12 juin 1927, constitue le premier et le seul mémorial français spécifiquement dédié aux marins - à tous les marins - disparus au cours de la Grande Guerre. Sa réalisation par René Quillivic, figure majeure de la sculpture bretonne de la première moitié du 20e siècle, en fait une oeuvre tout à fait remarquable sur le plan artistique. Elle s'inscrit dans la continuité de la plupart des nombreux monuments funéraires de l'artiste, qui mettent l'accent, non sur la représentation convenue du poilu ou du marin, mais sur "l'évocation du sacrifice tel qu'il se reflète dans les yeux et dans l'attitude de tous ceux qui souffrent de ne plus avoir le disparu à leur côté" (Charles Chassé, L'Art et les artistes : revue mensuelle d'art ancien et moderne, t. 21, Paris, 1930), personnifiée le plus souvent par la figure féminine d'une mère, d'une épouse ou d'une jeune enfant. S'il n'est pas seul à travailler sur l'iconographie du parent esseulé (on pense à Armel Beaufils, par ex.), peu de sculpteurs ont réussi comme lui à associer la monumentalité hiératique du modèle à l'expressivité contenue du visage, tension renforcée par l'emploi systématique de la pierre noire de Kersanton, matériau héritier de toute une tradition bretonne en matière de sculpture funéraire depuis le Moyen Age. Mais ce monument "surclasse" les autres oeuvres commémoratives de Quillivic, d'abord par la signification, l'ampleur et l'unicité-même de son programme, mais aussi par la qualité de son exécution imprégnée d'esthétique Art déco, l'art du sculpteur le disputant à celui du graveur.
Ces raisons nous conduisent à proposer le classement au titre des monuments historiques du Monument aux marins morts pour la France lors de la Première Guerre mondiale. Concernant les deux autres parties du mémorial national, à savoir l'esplanade du Souvenir français et le Cénotaphe aux marins, leur intérêt relève davantage de la création architecturale contemporaine dont ces parties ont été l'objet dans le cadre de leur réaménagement au début des années 2000, que de leurs qualités propres d'anciens ouvrages défensifs : à cet égard, leur protection au titre des monuments historiques ne nous semble pas justifiée.
(Synthèse historique et architecturale d'Hervé Raulet, chargé d'études documentaires, Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne, novembre 2014).
Bibliographie, sources documentaires
RONGIER Jacques, Pointe Saint-Mathieu, le monument aux marins morts pour la France, in Cahiers de l'Iroise n° 164, 1994.
RONGIER Jacques, Le monument des "péris en mer" à la pointe Saint-Mathieu, in Kannadig Sant Gwenaël, mai 1989, juillet-août 1990, janv. 1991.
BLOTTIÈRE-DERRIEN Sylvie, Monuments aux morts de René Quillivic, in Arts de l'Ouest, vol. 7, 1984, p. 81-102.
BLOTTIÈRE-DERRIEN Sylvie, René Quillivic (1879-1969), thèse de 3e cycle, Université Rennes 2, 1986.
BLOTTIÈRE-DERRIEN Sylvie, René Quillivic (1879-1969), in Armen, n° 50, avril 1993, p. 62-75.
Association "Aux Marins" www.auxmarins.net
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