"J´arrive à l´instant, Monseigneur, de la visite du port de l´Aber Wrac´h que j´ai effectué hier tout le jour durant et par le plus beau temps du monde, en compagnie de Monsieur Desclouzeaux [intendant de l´arsenal de Brest] et du sieur de la Voye [Denis de Lavoye, ingénieur ordinaire]. Du fond du port jusqu´à sa sortie, je suis passé et repassé par toutes les passes où il serait nécessaire de réaliser des batteries ou de petites forteresses pour la protection de son accès. Ce port pour sauvage qu´il soit, me paraît très intéressant en ce qu´il comporte trois passes qui permettent d´entrer et de sortir en tout temps, pourvu que les vents ne soient pas trop forts [...]". Vauban à Seignelay, Correspondances, 2 septembre 1685.
Situé à l'extrémité ouest de la capitainerie de l´Aber-Wrac'h, le fort Cézon constitue la pièce maîtresse de la défense de l'embouchure de l'Aber Wrac'h contre une tentative de débarquement ennemie. Pourquoi l'Aber Wrac'h ? Simplement parce qu'à une époque où les chemins étaient peu praticables, l'Aber constituait à 24 kilomètres au sud une voie de pénétration idéale vers Brest qui du coup serait prise à revers...
C´est lors de son deuxième voyage en Bretagne en août - septembre 1685, que Vauban l´avait repéré. Cinq jours plus tard, Vauban adressait à Seignelay son projet de défense de l'embouchure de l'Aber Wrac'h. Le plan consistait en la construction de quatre batteries (sur les îles de Croix, Plate, Cézon et la dernière sur un "rocher"). En outre, il prévoyait pour l'aménagement d'un port : "quelque 200 toises de quai et une ou deux douzaines de balises, dont la plupart ne seraient que de petits mâts plantés sur des roches qui ne se découvrent qu´à marée basse". Enfin, l´ingénieur évoquait l'importance des hommes : "Il suffirait d´avoir un bon capitaine de port assisté d´un lieutenant et de 8 ou 10 maîtres canonniers qui, après instruction, pourraient aussi servir de pilotes côtiers, pour ce port exclusivement. Cela devrait à mon avis, suffire pour maintenir l´entrée et le port en sûreté".
Il faudra attendre 1694 et la montée de la menace sur le port-arsenal de Brest pour que le projet de Vauban connaisse un début de réalisation. L'île Cézon accessible à chaque marée basse est choisie pour l'érection d'un nouveau fort. Ce dernier combine, côté mer, trois batteries de côte et, côté terre, des retranchements qui protègent l'île à marée basse. Une tour d'artillerie domine l'ensemble. Son parapet est percé de sept embrasures.
En temps de paix (état de 1701, à la veille de la Guerre de Succession d'Espagne), la garnison du fort se compose de 2 officiers (1 officier d'infanterie et 1 garde-magasin), 35 soldats (1 maître-canonnier, 1 second, 12 aides, 1 sergent, 20 soldats) et 30 miliciens (paysans de la paroisse). Durant la précédente guerre maritime (1697), la garnison était plus conséquente et comprenait alors 4 officiers (1 chef d'escadre, 1 lieutenant de vaisseau, 1 officier de compagnie et 1 garde-magasin), 55 soldats (2 maître-canonniers, 3 seconds, 24 aides, 1 sergent et 25 soldats), un bataillon de la Marine de 400 hommes et 30 miliciens.
Divers bâtiments : casernes, corps de garde, logement du gardien, guérite, magasins à poudre et aux vivres, fourneau pour rougir les boulets (1793-1795) citerne (début 19e siècle), occupent l'espace intérieur du fort. En 1793, les magasins du fort comptaient 13 500 livres de poudre. Un mât de pavillon est planté au sommet de la tour d´artillerie tandis qu'une chaloupe assure le service du fort. En 1811, les ingénieurs choisissent d'abandonner les retranchements extra-muros.
En 1859, des travaux de mise en défense sont entrepris : un magasin à poudre "à l'épreuve" (d'un bombardement naval) d'une capacité de 10 tonnes est construit, un mur de terre sur son flanc nord vient le protéger d'un bombardement venu de la mer... Le retranchement du 17e siècle (d'une hauteur d'à peine 2 mètres en certains points) est surélevé tandis que les parapets des fronts de terre sont profilés. Le parapet du front de mer est mis en état de recevoir des canons. Le fort a été déclassé par l'armée en 1889.
Le fort et l'île Cézon ont été réutilisés lors de la Seconde Guerre Mondiale par l'occupant allemand. Cet ensemble fortifié, considéré comme un point d'appui léger (Widerstandsnest), est codé A (pour Aber Wrac'h) n° 36. L'île Cézon (A 36), Enez Bihan (A 35), Enez Terch c'est à dire l'île aux Américains (A 32, au nord et A 45 au sud), forment le "Stützpunkt Aber Vrac'h" (point d'appui lourd). A proximité, on trouve les "Stützpunkt Marguerite" (A 37 et A 38) et "Stützpunkt Aber Benoit" (A 43 et A 44).
L'île compte 7 postes individuels d'observation et de mitrailleuse dits "Tobrouk" et un "Tobrouk" pour tourelle de char. Les soldats en poste dans ces Tobrouk peuvent être armés par une mitrailleuse (Maschinengewehr) de type MG34 ou MG 42. Cette dernière pouvant tirer 1200 coups par minute par bandes de 50 et 250 coups ; sa portée utile est de 1000 m ! Couronnant le parapet au nord, une casemate en béton est encore armée de son canon antichars de marque Skoda tandis qu'au sud une casemate de type 623 pour mitrailleuse lourde est enchâssée dans le rempart. Certains blockhaus sont des constructions semi-permanentes dits "Feldmässigen Ausbaustand" ou "Verstärkt feldmäßig" (1 à 1,5 m d’épaisseur de béton armé) d'autres, des constructions permanentes dits "Ständigen Ausbaustand" (2 m et plus d’épaisseur de béton armé) : type 621, 623 par exemple. La garnison de l'île Cézon est évaluée à une cinquantaine de soldats en juin 1944.
L'île Cézon (28 000 mètres carré environ) outre sa tour d'artillerie, sa caserne vaubanienne et son front bastionné du 19e siècle compte 17 blockhaus et de nombreuses tranchées. Entretenu par l'Association Cézon (créée en 1996), le fort (propriété privée) ouvre régulièrement ses portes aux visiteurs (par exemple à l'occasion des Journées européennes du patrimoine).
En raison de leur intérêt patrimonial, l'île et le fort Cézon ont été inscrits au titre des Monuments Historiques en 2015 (site présenté à la Commission régionale du patrimoine et des sites en 2008). C'est un exemple parfait d'étagement des fortifications de la fin du 17e siècle (Vauban et la défense des côtes) au milieu du 20e siècle (Mur de l'Atlantique).
(Guillaume Lécuillier, 2006 - texte mis à jour en 2015)
Association créée en 1996.