Le Lycée de Lorient
Alors que trois lycées sont créés en Bretagne par la loi du 11 floréal an 10 (1er mai 1802), à Rennes, Nantes et Pontivy, Lorient doit attendre 1863 pour être dotée d'un lycée. Mais il ne naît pas de rien. Différentes institutions scolaires lorientaises fusionnent, en 1823, pour devenir collège communal. D'emblée, sa spécificité est de préparer des élèves au concours de l'école navale. Il devient collège royal, en 1842, lycée impérial en 1863 et prend le nom de l'ingénieur naval Dupuy-de-Lôme, en 1923.
Il occupe alors des bâtiments (Aristide Lussault, architecte, 1824), formant un îlot urbain, attenant au mur d'enceinte de l'arsenal maritime. Son architecture est assez représentative de l'architecture scolaire du 19e siècle, celle des « lycées casernes » : les bâtiments sont construits à l'alignement des rues, le plan "en grille" délimite deux cours. Le lycée est doté de salles spécialisées pour les sciences naturelles et les sciences physiques (AM Lorient).
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés bombardent Lorient et sa base de sous-marins construite pour les U-boot allemands. En janvier et février 1943, 9 raids détruisent la ville. L'essentiel de la population se réfugie dans l'arrière pays. Le lycée est alors hébergé à l'hôtel de la Pomme d'Or, en Guémené-sur-Scorff.
La guerre a fait près de 40000 sinistrés à Lorient, 3500 maisons sur 5000 sont totalement détruites. La plupart des autres sont endommagées. Il en est de même des établissements publics : du lycée ne demeure que le portail !
Le lycée « en baraques »
Après guerre, la population revient à Lorient. Elle loge dans des baraques. Le Lycée s'installe lui aussi "en baraques", rue de la Belle Fontaine, avant de prendre place sur les terrains qu'il occupe encore actuellement. Les bâtiments « en dur », élevés à partir de 1953, sont construits progressivement, au milieu des baraques qui continuent à accueillir les salles de classes, ateliers et internats.
Dès 1946, le ministère décide de créer un vaste campus susceptible d'accueillir 2000 élèves. Le programme initial prévoit la création de deux cités scolaires, une pour les filles, une pour les garçons, regroupant l'ensemble des établissements secondaire de Lorient : le lycée, le collège de jeunes filles, le collège technique et l'école ménagère. Les deux derniers donneront, in fine, naissance aux actuels lycée Colbert et lycée professionnel Marie-Le-Franc. Le lycée Dupuy-de-Lôme sera ainsi privé de formations professionnelles, jusqu'à l'arrivé des formations aux métiers du tertiaire.
La construction du lycée Dupuy-de-Lôme : 1953-1966 : un élément important du nouveau plan de Lorient.
La construction du nouveau lycée est, elle aussi, indissociable de l'histoire de la ville. Et ce d'autant plus que Georges Tourry, son architecte et auteur du plan masse, n'est autre que l'urbaniste en chef de la Reconstruction de Lorient. Nommé en ces fonctions dès 1943, dans des circonstances assez originales (Daniel Le Couédic, « Lorient la syncrétique », op. cit. dans les sources), il est confirmé à la Libération. Ses premiers projets sont vivement contestés. Mais il sait composer. Il doit certes abandonner l'idée de reconstruire Lorient à un nouvel emplacement, puis celle de modifier en profondeur le parcellaire et le tracé des rues de l'intra-muros. Mais il réussit à faire évoluer le plan de la Ville en s'appuyant, en grande partie, sur la « zone B », le vaste plateau du champ de foire, du parc des sports et du Moustoir.
Cette zone B jouxte l'ancien intra-muros à l'ouest. Georges Tourry y installe le lycée. Elle lui permet de composer un « grand axe », du bassin à flot au Moustoir, et de déporter à l'ouest le centre de Lorient. Une partie du bassin à flot est alors comblée : à la place du centre commercial en baraques installé après guerre, Georges Tourry propose un jardin, bordé au sud d'immeubles d'habitation modernes (Félix Le Saint, architecte). Il installe, à l'extrémité de cet axe, une nouvelle place et la borde de l'hôtel de ville et d'un hôtel des administrations (finances, caisse d'épargne).
Il implante la cité scolaire sur la majeure partie du plateau libéré par l'ancien champ de foire et le parc des sports. Il lui réserve pas moins de 9ha de terrain moyennant, en outre, quelques expropriations.
Face au lycée, il positionne le nouveau parc des sports, avec sa piscine et son stade vélodrome.
Le lycée est conçu comme un campus-parc. Certains des arbres des propriétés expropriées de M. Guilloux et des consorts Debord sont conservés. Les bâtiments sont implantés sur l'ensemble, sans cloisonnement, bien que figure sur le premier plan-masse un important bâtiment qui eut séparé le lycée du collège de jeunes filles. Les constructions sont orientées pour favoriser l'ensoleillement. Plusieurs architectes de la reconstruction de Lorient sont à l’œuvre aux côtés de l'architecte en chef : MM. Conan, Grihangne, Baudeau, puis, pour la dernière tranche, René Ouvré.
Le lycée a bénéficié, pour sa construction, sous maîtrise d'ouvrage municipale, des dommages de guerre affectés à la reconstruction de l'ancien lycée et de l'ancien collège. En compensation de celle, détruite par les bombes, de l'ancien lycée, le nouveau, un des trente glorieuses, bien postérieur à la loi de séparation des Églises et de l’État, a ainsi été doté, en 1966, d'une chapelle. Cet édifice fournit l'occasion, à l'architecte René Ouvré, d'un hommage à Le Corbusier.
C'est le dernier des bâtiments construits après presque 15 ans de travaux, pendant lesquels les cours se poursuivent, à proximité immédiate du chantier. Lorient est ainsi doté d'un lycée neuf, dans le respect des normes de l'époque. Un des premiers à reproduire à l’infini la "fameuse" trame de 1,75m.
Lors de l'inauguration du premier internat (avec d'autres équipements publics de la ville) ; le 16 septembre 1954, M. Brunold, directeur de l'enseignement du second degré, confesse inaugurer "le premier lycée ainsi construit en France".
Il précise :
"Nous avons inauguré ce matin la première tranche des travaux du Collège Technique. Nous savons que la seconde tranche est en route ; les autres suivront. Nous nous efforçons d'aller aussi vite que possible, pour faire disparaître, à côté des beaux bâtiments que nous avons inaugurés aujourd'hui, les baraques qui sont encore le souvenir des temps difficiles
(...) je suis un peu le responsable de cette architecture sobre, de cette normalisation qu'on a imposées aux constructions du second degré, car nos charges sont si lourdes en ce moment, et nos crédits, si vastes qu'ils soient, sont toujours insuffisants pour tout ce que nous voulons faire. Nous sommes obligés, évidemment, de simplifier, et d'imposer aux architectes des règles qu'ils acceptent, je le sais, avec beaucoup de bonne humeur. (…)
J'avais vu les premiers lycées construits selon les nouvelles normes édictées par la Direction de l'Enseignement du Second Degré, lorsque je les avais inaugurés, aux côtés de M. François PONCET, en Allemagne. Il s'agissait des Lycées français de Baden-Baden et de Coblentz. (…)
C'est le premier lycée ainsi construit en France que j'ai vu ce matin. J'ai constaté qu'on peut faire de très belles choses, même lorsqu'elles sont si strictement normalisées. Je dois remercier M.
Le Député-Maire qui a présidé les travaux, et les Architectes en Entrepreneurs qui ont été les artisans de cette première tranche."
Tout est dit : le contexte de l'après-guerre, les baraques, les conditions financières de la reconstruction, les nouvelles normes, le rôle de la municipalité...
Et les travaux s'étaleront jusqu'en 1966.
Une chapelle dans un lycée public 60 ans après la loi de Séparation !
Le dernier bâtiment édifié est une chapelle (réceptionnée en 1967) et cela demande quelques explications. Construit au 19e siècle, donc avant la loi de Séparation des Églises et de l’État, le lycée de Lorient comportait, comme les autres établissements secondaires de l'époque, une chapelle dédié à l'éducation religieuse, des internes notamment. Démolie avec le reste du lycée, cette chapelle est incluse dans les dommages de guerre. Les archives municipales de Lorient conservent, à ce sujet, une importante correspondance et les délibérations du Conseil municipal. On y apprend que Georges Tourry, l'architecte en chef du lycée, découvre, en septembre 1959, qu'il convient de construire une chapelle qui n'était prévue ni dans l'avant projet, ni dans le projet. Que l’évêché de Vannes est intervenu pour réclamer la construction de cette chapelle. Que c'est l'architecte René Ouvré qui en dresse les plans. Il ambitionne, ni plus ni moins, de construire une véritable miniature de Notre-Dame du Haut à Ronchamp ! Comme il s'agit cependant de dépenser la totalité des dommages de guerre estimés, réévalués, mais pas un centime de plus, la chapelle réalisée est moins ambitieuse que son projet initial.
Vieillissement prématuré, décentralisation, restructurations.
Dès 1969, l'occupation du lycée évolue : garçons et filles sont réunis au sein d'un même établissement. L'ancien collège de jeunes filles devient CES lui aussi mixte. Il prend le nom de collège du Moustoir puis ferme en 1991. Les externats qui lui étaient dédiés ont été détruits en 2008.
A l'instar des grands ensembles de logement social, construits rapidement, avec peu de moyens, parfois mal entretenus, les bâtiments vieillissent vite.
Avec la décentralisation, la Région est devenue propriétaire des bâtiments. Elle les a adapté à des besoins nouveaux (espace culturel au début des années 2000) et a planifié, à partir de 2005, une profonde restructuration.
Depuis les années 1980, la standardisation de l'architecture des lycées a fait place à une grande diversité d'architecture répondant à des cahiers des charges adaptés au cas par cas.
Ici, les nouvelles orientations d'urbanisme qui incitent à densifier les villes, la prise en compte de la liaison des établissements publics avec les transports collectifs, le besoin d'isoler les bâtiments afin d'économiser l'énergie et de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi la nécessité d'organiser, dans ce vaste campus, un espace de rencontre de l'ensemble de la communauté éducative ont conduit à des démolitions, des restructurations et des constructions nouvelles. Ces dernières ont doté le lycée d'un CDI neuf, d'une administration fonctionnelle, d'une salle polyvalente avec un amphithéâtre et d'une nouvelle entrée, plus proche de l'axe de transports en communs en site propre, appelé Triskel.
Diplômé en 1931, il fut nommé architecte et urbaniste en chef de la reconstruction de Lorient en 1943. Architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux.