FORT DE CROZON par Philippe Truttmann.
Ouvrage construit de 1883 à 1886 et appartenant au système "Séré de Rivière (période antérieure à la crise de l'obus torpille). Entre 1885 et 1914 il n'a reçu que des renforcements mineurs. Par contre, les bombardements subis au cours du 2ème conflit mondial, et surtout les transformations opérées après 1950 tendent à altérer complètement ses dispositions d'origine. Il ne subsiste aucun vestige de l'armement.
Mission : point fort de la position de résistance barrant le presqu'île de Crozon face à l'est, entre Lanvéoc et Morgat, position jalonnée du nord au sud par le fort de Lanvéoc, le réduit de Landouadec et enfin le fort de Crozon, et destinée à empêcher un ennemi venant de l'est de prendre à revers les différentes batteries de côte des presqu'îles de Crozon et Roscanvel.
C'est un ouvrage de défense terrestre, armé de matériels de campagne ou de place, et en tous points analogue aux forts d'arrêt ou de ceinture contemporains des places de l'est ou du sud-est.
Descriptif : fort type "à massif central et batterie basse", partiellement organisé en fort d'arrêt, avec toutefois une orientation prioritaire face à l'est. Construit en fortification polygonale, en tous points conforme aux prescriptions de l'instruction de mai 1874 (cf. Delair : "Organisation défensive des forteresses").
Plan : pentagone irrégulier à cinq fronts nord-ouest (gorge) nord-est, sud-est, sud et ouest.
Obstacle : fossé de 5 mètres de profondeur et 10 mètres de largeur moyennes avec escarpe et contrescarpe revêtues.
- Escarpe attachée.
Organes de tir : flanquement assuré par trois caponnières (deux doubles et une simple).
- Saillant nord-est : caponnière simple (c) flanquant à gauche le front nord-est.
- Saillant sud-est : caponnière double (3) flanquant les fronts sud-est et sud.
- Saillant ouest : caponnière double (D) flanquant les fronts nord-ouest et ouest.
Ces caponnières sont armées, par direction à battre, de 2 pièces (canon revolver et 12 culasses) tirant par des embrasures identiques et logés côte à côte dans une chambre de tir unique couverte d'une voûte surbaissée.
En tête, galerie de fusillade : les façades extérieurs des chambres de tir sont protégées contre les coups d'écharpe par des massifs d'orillon cylindriques. Certaines chambres de tir exposées au tir d'enfilade ont leurs embrasures protégées contre les coups plongeants par des visières extérieures à voûte surbaissée, s'appuyant d'un côté à l'escarpe, de l'autre à l'orillon.
Chaque caponnière possède une galerie d'accès par l'arrière (galerie voûtée en plein cintre, descendant vers la caponnière, et débouchant dans la rue du rempart).
- Un petit magasin à munition aveugle (à gauche de la galerie d'accès).
- Un ou deux tronçons (caponnières simples ou doubles) de galerie d'escarpe flanquant la façade de la (ou des) chambre de tir.
- Des orifices de ventilation (cheminées et évents).
- Un fossé diamant périphérique.
Crêtes de feu : constituées simplement par des parapets à ciel ouvert, à l'exclusion de tout organe actif casematé. Aucun cuirassement.
Crête d'artillerie périphérique surmontant l'escarpe et constituée par des plate-formes pour 2 pièces séparées par des traverses creuses (fort type à massif central et batterie basse). Il semble qu'à l'origine une traverse sur deux était enracinées, ce qui donnerait cinq traverses enracinées et cinq traverses normales. La rue du rempart passe sous les traverses enracinées par des passages couverts assurant la continuité de la circulation. Deux traverses enracinées abritent les magasins à poudre, les autres comportent des abris sous traverse avec voûte surbaissée, cheminée d'aération dans le mur de fond et éventuellement couloir d'accès direct à la plate-forme de pièce.
Plate-formes de pièces soutenues par un mur en maçonnerie au côté de la rue du rempart.
La crête d'infanterie était implantée au-dessus du massif central avec accès par un escalier intérieur de la caserne : les modifications récentes de l'ouvrage et l'envahissement par les ronces la rendent à peu près impossible à distinguer. Massifs des remparts et des terre-pleins de l'ouvrage constitués par de la terre mêlée de roc extrait des fossés.
Constitué par deux corps de bâtiments casematés disposés en vis à vis de part et d'autre d'une cour centrale rectangulaire orientée sensiblement nord sud, au centre du massif central. Hormis la façade donnant sur la cour, ces locaux ont les voûtes, les murs de fond et latéraux terrassés. Le bâtiment est est à deux niveaux, le bâtiment ouest à un seul niveau. Chaque bâtiment est constitué, à chaque niveau, par une série de sept casemates identiques accolées, voûtées en voûte surbaissée et séparées par des piédroits ; elles prennent jour dans la cour centrale, au rez-de-chaussée, par une porte encadrée de deux fenêtres, au premier étage, par trois fenêtres.
Blindage des ouvertures
Les joues de ces ouvertures portaient, à l'origine, des fers U verticaux destinés à recevoir des rails empilés et destinés à constituer un blindage lors de la mise en état de défense de l'ouvrage. Seuls subsistent les scellements des fers U.
Couloir enveloppé
Les groupes de casemates-logements sont entourés sur tous les côtés terrassés, par un couloir périphérique dont les branches latérales sont voûtées en berceau et la branche de fond, desservant les casemates, en demi-berceau. Du couloir de fond montent les gaines verticales d'éclairage et d'aération.
Particularité du bâtiment est
Dans le bâtiment est :
- Les deux branches latérales du couloir périphérique comportent à chaque niveau des élargissements constitués par deux chambres aveugles dont lesvoûtes surbaissées ont leurs génératrices perpendiculaires à celle du berceau du couloir. Cette disposition a pour but de créer des culées équilibrant la poussée des voûtes des casemates en leur transmettant la poussée des terres du massif d'enveloppe.
- Le couloir de fond se prolonge, à droite et à gauche, par des couloirs voûtés reliant les locaux du rez-de-chaussée aux passages couverts sur lesquels se greffent les magasins à poudre, les couloirs desservant sur leur parcours des casemates aveugles servant de locaux techniques (détruits côté nord).
- Les escaliers d'accès au premier niveau sont situés aux deux extrémités du couloir de fond.
- Un escalier partant du milieu du couloir de fond du premier étage débouche sur les dessus du massif central, permettant à l'infanterie de la garnison de gagner ses postes de combat sur la superstructure. Son débouché extérieur a été complètement modifié.
- Une gaine voûtée en plein cintre part du couloir de fond, dans l'are de la quatrième casemate, taverse le massif de terre et relie les locaux du massif central au passage voûté central du front sud-est.
Particularité du bâtiment ouest
Bâtiment à un seul niveau. Pas d'escalier, pas d'élargissement des branches latérales du couloir.
- Aux deux extrémités du couloir de fond, la hauteur des piédroits diminue et le demi-berceau s'incline sur l'horizontale. Une gaine voûtée en plein cintre relie le couloir de fond, suivant l'axe de la quatrième casemate, à la rue du rempart où elle débouche en face de l'accès à la caponnière ouest.
- Les casemates communiquent entre elles par des portes percées dans les piédroits.
Conclusion sur les couloirs-périphériques
- On constate que les couloirs-enveloppes des casemates servent de :
- Circulation.
- Gaine d'assainissement (protection contre les eaux d'infiltration) et d'aération (cheminées verticales).
- D'éléments de stabilité de l'édifice (équilibre des voûtes).
Bâtiments nord et sud du massif central
Aux extrémités nord et sud, la cour centrale était fermée par deux corps de bâtiments à un seul niveau, qui en constituaient les petits côtés. Le bâtiment nord a été détruit (était selon tout vraisemblance symétrique au B sud. Le bâtiment sud est constitué :
- D'un couloir voûté en plein cintre reliant la cour centrale à la rue du rempart du front sud,
- D'une pièce, donnant sur la cour centrale, voûtée en voûte surbaissée, et servant actuellement de cuisine.
Magasin à poudre : deux magasins à poudre.
- Un au nord, formant traverse enracinée du front nord-est.
- Un au sud, formant traverse enracinée du front S.
Le magasin nord a été reconstruit en béton armé, vraisemblablement vers 1897-1900. C'est une simple pièce rectangulaire, avec accès par vestibule donnant par deux portes sur le passage couvert nord (passage couvert en béton spécial non armé, voûté en plein cintre).
La dalle a reçu deux bombes d'avion qui ont provoqué chacune une flexion de l'intrados (épaisseur probable de la dalle 1,75 mètres : ?).
Le magasin sud, d'origine et non transformé, est constitué par un berceau en maçonnerie à l'intérieur duquel, des murs de refend longitudinaux et transversaux cloisonnent : le vestibule d'entrée, la chambre des poudres, la galerie enveloppe, la chambre des lanternes (dispositions conformes à l'organisation réglementaire des magasins à poudre de cette époque). L'accès du vestibule se fait à partir du passage couvert sud dont la voûte est, en outre, percée d'une grande cheminée carrée servant de puits d'éclairage pour le temps de paix. Dans les parois du puits :
- Fenêtre d'éclairage du vestibule de la chambre des poudres
- Un peu au-dessus : retraites destinées à recevoir des lits de poutres ou de rails de blindage, pour le temps de guerre.
Entrée : se fait par le front nord-ouest.
En venant de l'extérieur on rencontre :
- A hauteur du glacis un ravelin, où la route d'accès pénètre en tranchée à parisis maçonnerie à travers le parapet du ravelin. Le tracé de la route est brisé pour éviter l'enfilade.
- Un corps de garde défensif semi-enterré, et casemate, dont la façade extérieure a, par suite de modifications, perdu ses meurtrières et son fossé diamant. Cet ouvrage est installé sur la contrescarpe en bordure de la route d'accès.
- Un pont dormant à tablier métallique sur deux piles en maçonnerie ordinaire.
- L'emplacement du pont-levis remplace par un tablier en béton armé.
- La porte proprement dite, en retrait par rapport à l'escarpé, et raccordée à celle ci par deux pans coupés, percés de meurtrières en forme de soupiraux, et de créneaux de pied.
- La porte a été modifiée et l'ouverture en plein cintre a été entaillée pour donner une ouverture rectangulaire. Large feuillure destinée à recevoir le pont-levis en position verticale. Il subsiste les montants, le linteau portant l'inscription gravée en creux "1883 - FORT DE CROZON - 1886" surmontée d'une corniche et d'un mur d'acrotère. (la façade - partie d'origine - est construite en granite appareillé). Le pont levis était du type "à bascule en dessous" et à poutraison métallique.
- La porte donne accès à une galerie voûtée en plein cintre où on remarque de part et d'autre à partir de l'entrée :
- Deux meurtrières de défense intérieure.
- Les deux portes d'accès à deux petits corps de gardes casematés tirant dans le fossé de gorge, et sur le pont levis et dans le couloir d'entrée par des soupiraux, par des meurtrières verticales et par des créneaux de pied.
Le corps de garde de droite comporte un escalier descendant à une poterne débouchant au fond du fossé.
La galerie d'entrée débouche dans la rue du rempart du front nord-ouest - sous une traverse normale.
Divers : matériaux, détails de construction.
Escarpe et contrescarpe : revêtements en maçonnerie de moellon disposé en "opus incertum" et surmontés d'une simple tablette générale en dalles de granite. Chaînes d'angle harpées, en granite.
Traverses et casemates logements : pierres de taille en assises réglées (grès).
Toutes les façades des casemates, traverses, passages couverts sont surmontées d'une tablette en granite, à arêtes rectangulaires.
Encadrements des portes et fenêtres en granite, en saillie sur les façades, linteaux monolithes, tracés en légère courbe se prolongeant par deux segments horizontaux.
CONCLUSION
Avec le réduit de Landouadec, le fort de Crozon constitue un des rares forts détachés de l'époque 1874-1885 construits ex-nihilo sur les frontières maritimes. A ce titre, il complète la gamme évolutive d'ouvrages de toutes époques, constituant les défenses de la rade de Brest.
Photographe