"Les plans et profils de celle-ci [la batterie du Léon] feront voir à votre Majesté en quoi doit consister sa fortification, qui ne sera autre qu’un petit camp assez bien retranché pour ne pouvoir être pris d’emblée, ce qui donnera loisir de prendre le parti que l’on voudra. Le Mengant ou batterie de Léon est déjà fermé par une muraille, et son derrière gardé par une redoute de maçonnerie à mâchicoulis, qui serait de très peu de résistance contre du canon à terre ; les deux communications ne sont point terrassées et n’ont que peu de fossé, non plus que la redoute ; les montagnes (A-B) plongent tellement sa batterie basse qu’il y serait impossible de pouvoir y demeurer si l’ennemi s’en était emparé ; on y remédiera, si votre Majesté l’agrée, pour occuper toute la hauteur (A) d’un ouvrage couronné et, à l’égard de l’autre (B), on trouvera moyen de garantir ladite batterie par la manière de placer les bâtiments dont elle a besoin et par y ajouter quelques traverses […]. Il y a 50 et 4 pièces dans les deux batteries du Mengant dont les moindres sont de 18 livres de balle et les plus grosses de 36 et de 24", Vauban, 15 juillet 1695.
La grande batterie du Léon (aujourd’hui nommée fort du Mengant) a été construite de 1684 à 1687 sur une plate-forme artificielle avançant dans la mer.Le chantier est dirigé par l’ingénieur Paul-Louis Mollart qui contrôle les travaux des entrepreneurs adjudicataires. Différents plans nous renseignent sur l’avancement des travaux : escarpement de la falaise, premières fondations de trois à quatre assises de pierres de taille "fondée par ressauts sur les rochers", creusement du fossé de la redoute (1684), contreforts de l’escarpe et "escarpe élevée jusqu’au cordon", définition de l’orientation des embrasures par l’ingénieur et de la hauteur du revêtement au-dessus des plus hautes marées (1685-1686), parapet et remplissage du terre-plein, finitions et écoulement des eaux (1687).
Au Mengant, il existait aussi une tour faisant réduit sur la hauteur et flanquant l’angle nord-ouest de la batterie haute. Contrairement aux tours de Houat et Hoëdic, la tour du Mengant est de plan carré. D’une hauteur approximative de 15 m, elle comportait trois niveaux (plus combles) divisés par un mur de refend. L’entrée principale était aménagée au deuxième niveau (premier étage). Chaque niveau était percé de créneaux de mousqueterie et le troisième niveau doté de mâchicoulis. La tour dominait et protégeait deux bâtiments établis en arrière de la batterie haute en V (armée de 10 pièces d’artillerie): les halles pour les affûts à canon qui servent aussi de corps de garde, les logements des canonniers et des officiers faisant aussi office de magasin à poudre. Cette tour est achevée en 1687 tandis qu’est terminé le parapet de la batterie basse. Les officiers étaient également logés dans une caserne spécifique dans l’anse du Mengant à l’abri derrière la falaise… Afin de protéger l’ouvrage du côté de la terre, Vauban propose en 1695 de transformer la batterie en fort en la dotant d’un front bastionné. En période de guerre, la batterie basse était armée de 40 canons de marine en embrasure servie par plus de 500 hommes : officiers, canonniers, matelots et miliciens.
La batterie basse, en dépit de l’arasement de nombreux bâtiments après la Seconde Guerre mondiale, est l’élément le plus remarquable de cet ensemble fortifié. La maçonnerie de l’escarpe en pierres de taille de granite montre un certain nombre de "boules" ou "pustules" en parement : éléments de décor, marques de tâcheron destinées à payer les ouvriers à la tâche ou marques d’assemblage des pierres cramponnées (ou "agrafées") au fer comme semblent le suggérer des pierres basculées à la mer ?
Le parapet de la batterie basse, autrefois enduit, était doté à l’origine de 40 embrasures mais seules 30 apparaissent en 1807 sur les relevés destinés à la construction du plan-relief de Brest. La batterie du Mengant comporte un défaut qui semble récurrent au fil des siècles : la partie ouest du parapet, embrasures comprises et terreplein, est victime "des coups de mer". Pour remédier au problème, l’ingénieur Robelin projette en 1722 de la surélever. Sur un plan datable du troisième quart du 18e siècle, cette partie du parapet est dite "à barbette", c’est-à-dire sans embrasure, alors que dans le reste de la batterie basse du Mengant les canons sont toujours disposés - comme à l’origine - en embrasure. Les ingénieurs militaires distinguent le tir lointain à barbette, vers l’ouest et le large, du tir rasant à couler dirigé vers le goulet. Tout en protégeant la batterie des vagues venant du large, cette disposition permet d’éviter le tir en enfilade, ce que souhaitait déjà Vauban en 1695 par la réalisation de "traverses" ou de "quelque chose d’approchant". La partie ouest de la batterie aujourd’hui totalement ruinée - mais "stabilisée" par un important travail de bétonnage dans les années 1970 - a été remaniée au niveau du parapet comme en témoigne l’arrêt du cordon.
Sur les huit bâtiments construits sur le terre-plein de la batterie basse (casernes et magasins) en 1807, trois bâtiments en alignement orientés est-ouest (corps de garde, remise et magasin à poudre) et adossés à la falaise, subsistent. Le plus remarquable, situé à l’extrémité est,consiste en un bâtiment couvert à deux pans à coyaux en ardoises et renseigné en 1696 comme "logements des canonniers, halle et corps de garde". Deux "branches tombantes" - murs d’enceinte percés de créneaux de mousqueterie et escaliers en parallèle - ferment les flancs à l’est et à l’ouest. Deux ponts-levis à flèches permettaient d’accéder aux batteries haute et basse. Un magasin à poudre a été aménagé dès la fin du 17e siècle dans la falaise. En 1858, les batteries haute et basse sont armées de 14 canons de 30 livres de balle modèle 1840 sur affût pivotant et 14 obusiers de 22 cm modèle 1827 sur affût de fer pivotant visibles sur une photographie de 1878. Dans le dernier quart du 19e siècle, le site connaît quelques bouleversements du fait de l’implantation d’un poste de projecteur et de son usine électrique ainsi que de quatre canons de 47 mm modèle 1885 à tir rapide. En 1878, une jetée est construite pour permettre le stationnement de canots porte-torpilles dans la petite anse du Mengant. Une batterie de rupture est également construite au fond de l’anse dans le ravin du Mengant en 1885-1886. Plus haut sur la falaise, à l’est du fort vers le hameau de Quillihouarn, six canons de 100 mm sont implantés et servent de batterie annexe ; les sous-sellettes d’affût sont toujours en place. Durant la Seconde Guerre mondiale, le poste photoélectrique est remis en activité et la redoute abrite une station de télégraphie sans fil dont les pylônes sont sabordés à l’arrivée des troupes américaines. Les bâtiments servent également de casernement pour des artilleurs allemands : plusieurs canons de 220 mm Schneider sur "porte-corps" sont signalés "en réserve". Entre 1944 et 1964, le fort du Mengant est ouvert au public et devient un lieu de promenade pour les Brestois ; des photographies montrent une caserne existant encore en 1959. La batterie haute a été totalement remaniée dans les années 1960 ; sont cependant visibles quelques vestiges intéressants depuis le sentier côtier : à l’angle nord-est, le cul-de-lampe pentagonal de l’une des deux échauguettes ; au ras du sol, du fait du comblement des fossés, le cordon et des embrasures murées. Il semble qu’il ne subsiste plus aucune trace en élévation de la tour de défense côtière.
Un site en activité
En 1964, la Compagnie générale de la télégraphie sans fil (CSF), pionnière de la guerre électronique (devenue en1968 Thomson-CSF puis Thalès en 2000) devient affectataire des lieux. Des travaux sont réalisés afin d’aménager une rampe-funiculaire reliant le port (où l’on construit une "plate-forme d’échouage") à la partie haute du fort (un "bâtiment réception" est créé). Un chariot funiculaire permet de monter des antennes-radars et des dômes de navires afin d’effectuer des tests. Il s’agit selon les Archives de la Marine d’une "base de mesures d’antenne". Un imposant bâtiment a été construit à proximité immédiate du fort. La partie haute du fort est toujours utilisée par la division "Thalès systèmes aéroportés". Le terre-plein de la batterie vaubanienne, la jetée et le petit port sont toujours affectés à la Marine plus précisément au Club nautique de la marine à Brest. La question de l’accessibilité au grand public du fort du Mengant, a minima la partie basse, se pose. À défaut d’avoir accès à ce chef-d’œuvre de l’architecture vaubanienne,on peut l’apercevoir depuis la mer et depuis le sentier côtier.
(Guillaume Lécuillier, 2009 in Les Fortifications de la rade de Brest : défense d'une ville-arsenal, 2011).