Aux origines du lycée : la fusion de trois communes et ses conséquences
La création du lycée de Paimpol est indissociable de l'histoire très singulière de ce port, au début des années 1960, à la fin d'une décennie pendant laquelle ce haut lieu de la pêche morutière, naguère si actif, semble bien endormi. Cette histoire est tout d'abord celle de la fusion de trois communes, Paimpol, Kérity et Plounez, en 1960. Une fusion qui conduit les édiles locaux à solliciter Max Querrien pour "donner un nouvel élan au développement de leur ville". Ce haut fonctionnaire au Conseil d’État, successivement directeur de cabinet du ministre de la Santé publique puis du garde des Sceaux, au gré des évolutions de son ministre, est donc pressenti par les membres du conseil municipal pour devenir maire. Dans l'attente de son élection, fin 1961, c'est Louis Coupin qui devient temporairement maire du "grand Paimpol". Mais Max Querrien n'attend pas d'être élu pour agir. Il use de son entregent afin d'obtenir l'implantation d'équipements importants dans la commune : un hôpital, une maison de retraite, un nouvel hôtel des postes, le maintien de l’École nationale de la Marine marchande, l'implantation d'un lycée... pour une commune qui compte désormais 7000 habitants.
L'implication de Max Querrien dans le choix du site et des architectes
La priorité de M. Querrien est de "créer un équipement scolaire décent", en premier lieu, un lycée d’État. Il s'attache le soutien actif du recteur Henri Le Moal. Un tel établissement devait dans son esprit permettre à la jeunesse du pays "d'aller jusqu'aux études universitaires", explique-t-il encore, en 2018.
Le plus ancien document, de l'épais fonds des archives municipales sur le lycée de Kerraoul à Paimpol, est daté du 5 avril 1961. Il s'agit d'un courrier de M. Querrien à celui qu'il présente comme son principal relais à Paimpol, Me Martinaud, notaire et adjoint au maire. Il y est question de l'implantation des établissements scolaires de la commune. M. Querrien vient de rencontrer Michel Auvergniot, architecte DESA et conseil de la ville de Paimpol en matière d'urbanisme. L'un et l'autre envisagent d'implanter le collège le collège de jeunes filles et le lycée hors des limites étroites du "vieux Paimpol". Quelques jours plus tard (le 24 avril), le "maire d'attente" Louis Coupin, demande à M. E. Huet, géomètre expert, d'effectuer les relevés de terrains, parmi lesquels ceux de la propriété Kerraoul, sise en périphérie, sur le territoire de l'ancienne commune de Plounez. Le 25 mai, M. Querrien écrit à M. Poirier, architecte à la Direction de l’Équipement scolaire, universitaire et sportif (DESUS) :
"(...) je crois qu'il serait fort utile que l’Éducation nationale, sous votre signature ou la signature de tel fonctionnaire ayant spécialement compétence (je ne connais pas bien votre organigramme) écrive au maire de Paimpol - en m'envoyant copie de la lettre - que la propriété de Keraoult vous apparaît comme étant indiscutablement le meilleur emplacement possible pour la construction du lycée et que vous attachez un grand prix à voir la ville de Paimpol poursuivre sans retard l'acquisition de cet ensemble de terrain en vue d'en faire l'apport à l’État pour la construction de cet établissement scolaire. Je pense, en effet, comme vous-même que la meilleure solution consiste pour la ville à apporter le terrain et à obtenir de l’État qu'il finance, si possible à 100%, les constructions proprement dites. J'ai eu hier M. Renard au téléphone. Je lui ai confirmé l'accord de la municipalité sur le tandem Arretche - Auvergniot, et je lui ai demandé de faire le nécessaire."
Sans attendre, Max Querrien informe Louis Arretche, dont il apprécie, depuis son intervention pour la reconstruction de Saint-Malo, "[la] mesure et [le] souci de recherche sans ostentation" :
"La ville de Paimpol et de Ministère de l’Éducation nationale sont entièrement d'accord, la première officiellement depuis une délibération en date du 31 mai, le second, d'une manière encore officieuse mais sûre, en ce qui concerne votre désignation comme architecte chargé du lycée classique, moderne et technique de Paimpol avec M. Auvergniot. Je me réjouis très vivement de savoir que nous nous orientons vers une réalisation de qualité, et je vous remercie encore d'avoir accepté de vous intéresser à l'avenir de Paimpol."
Le 12 juillet 1961, le Ministère (la DESUS) donne son accord de principe pour l'achat par la ville d'un terrain sis au lieu dit "Ker Raoul". Et, le 29 août, il prend un arrêté désignant L. Arretche et M. Auvergniot pour "les travaux de construction d’État d'un établissement scolaire du second degré à Paimpol".
Le décor est planté, l'emplacement et les architectes déjà connus. On peut mesurer toute l'autorité et l'implication personnelle du haut fonctionnaire Max Querrien - il est, courant 1961, membre du cabinet du garde des Sceaux et devient maire de Paimpol à la fin de l'année. Pourtant, malgré ce départ "en fanfare", le lycée n'ouvre qu'en 1974.
Une lente procédure d'expropriation
Sa genèse se poursuit par une lente procédure d'acquisition, par voie d'expropriation, des 11 ha 23 a et 39 ca de Kerraoul. Une histoire somme toute classique : évaluation par le service des domaines à 370 000 NF (4/6/1962) ; une première offre de la mairie (407 500 NF plus indemnités), récusée par les propriétaires, conduit le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc à autoriser l'expropriation (20/2/1963) ; une décision du même tribunal fixe le prix à payer à M. Jean de Blay et dame de Roquefeuil à 554 705 NF et les indemnités à verser aux trois agriculteurs locataires à 30 117 NF.
Un lycée pensé dans son environnement urbain, naturel et historique
Le 8 août 1964, le conseil municipal confie à L’État la direction des travaux. Par la suite, le projet de lycée s'étoffe. Le 28 août 1965, "Le maire demande au conseil municipal d'envisager éventuellement la construction d'un lycée climatique à caractère national", qu'il justifie : "En effet, le micro-climat de la Bretagne peut, dans les années à venir, favoriser l'accueil d'enfants fatigués de villes à forte concentration urbaine". Un témoignage intéressant de celui qui est devenu directeur de l'Architecture au ministère des Affaires culturelles, sur des inquiétudes qui semblent poindre face au développement urbain ?
Parallèlement, la commune effectue des démarches auprès de M. de la Foucardière, ingénieur des Eaux et Forêts (lettre du 20/5/1965), afin que les constructions qualifiées "d'exemplaires" respectent au maximum le site et les arbres. Elle lui demande conseil pour déterminer les arbres à supprimer, à conserver et à renouveler. M. Querrien estime que la proposition de L. Arretche, en qui il voit un "amoureux du site" a contribué à son amélioration, contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer. Le 28 mars 1968, M. Querrien précise que "les bâtiments de Kerraoul, maison et communs" ne font pas partie de l'ensemble à mettre à disposition de l’Éducation nationale. Ils ont accueilli une auberge de jeunesse et un centre de kayak de mer, jusqu'au début du 21e siècle et la prolifération de mérules dans les charpentes.
Outre les constructions scolaires, le programme s'enrichit d'un gymnase, d'une piscine, de plusieurs terrains de sport et d'une maison des jeunes. Ces derniers équipements restent sous maîtrise d'ouvrage municipale. La ville choisit, bien sûr, les mêmes architectes. La coordination est également nécessaire en matière de financement avec l'intervention de "Jeunesse et Sports".
Cette orientation est retenue dans le projet qui reçoit un avis "très favorable" du Conseil national des Bâtiments de France, le 17 juillet 1968, ainsi que du conseil municipal, 11 jours plus tard. Elle figurait déjà sur le plan masse du 30 septembre 1967. Une note postérieure (7/9/1970) la motive ainsi :
"A l'exemple de ce qui a été réalisé à Yerres, le but recherché est la création d'un complexe scolaire, sportif et socio-éducatif dans un magnifique parc de plus de 10 ha acheté par la ville, en une unité organique ménageant à la fois les autonomies fonctionnellement nécessaires et les contacts dont on a découvert l'utilité psychologique, un lycée classique et moderne, un collège d'enseignement technique, un centre sportif urbain alternativement accessible aux scolaires et à la population non scolaire et une Maison de Jeunes et de la Culture implantée de façon à pouvoir utiliser, le cas échéant, certains volumes à vocation scolaire et sportive. (...) Il s'agit d'une opération extrêmement intéressante, dont le programme a été étudié en commun par le ministère de l’Éducation nationale et le secrétariat d’État à la Jeunesse, aux Sports et aux Loisirs". La note insiste également sur la proximité du CES et du centre ville, situé à un kilomètre.
La maison des jeunes, un temps implantée à proximité du lycée et de la piscine, sera plus modeste qu'envisagée, et non pérenne, mais cet ambitieux programme témoigne d'évolutions importantes de la fin des années 1960, de la volonté de traiter les questions de la jeunesse sous l'angle de la citoyenneté et non du seul point de vue de la scolarisation, mais aussi de la volonté d'ouvrir le lycée sur la ville et de mutualiser les équipements sportifs.
Nous sommes en présence d'un lycée qui a été pensé dans son contexte historique, environnemental et urbain. Il tient par ailleurs ses promesses en termes d'architecture.
En 2018-2019, l'établissement est fréquenté par 634 élèves, dont une nette majorité de filles (453) et 86 internes. Ils suivent des formations aux bacs généraux, au bac professionnel soins à la personnes, à des bacs technologiques dans les domaines de la santé et du social, à des BTS dans le champ de l'économie sociale et familiale, à des CAP (milieux familiaux et collectifs). Sont également présentes des classes préparatoires pré-bac (moniteur-éducateur) et post-bac (écoles para médicales). Il est labellisé "lycée des métiers sanitaire et social".
Panoramic Bretagne, photographie aérienne, Plouzévédé