(Agriculture française, par MM. les inspecteurs de l'agriculture. Département des Côtes-du-Nord. Publié d'après les ordres de M. le ministre de l'agriculture et du commerce. Paris, Imprimerie royale, 1844.)
"La culture du lin est très répandue dans l'arrondissement de Lannion, dans les cantons de Guingamp, Pontrieux, Bégard, Plouagat et Belle-Ile, appartenant à l'arrondissement de Guingamp, et sur le littoral de Paimpol à Saint-Brieuc. Elle l'est beaucoup moins sur le littoral dinanais, et n'existe, pour ainsi dire pas dans l'arrondissement de Loudéac.
Le lin se plaît dans les terres un peu fortes, plus argileuses que sablonneuses, exposées au sud et au sud-est, et, autant que possible, plates et découvertes. L'ombre des pommiers, des hêtres et des chênes lui nuit.
Dans les assolements, on le place après froment ou avoine, et on ne le fait revenir sur le même sol que tous les 6 ou 8 ans. Quand il suit un froment fumé, on ne lui donne pas d'engrais ; après l'avoine, on le fume.
L'engrais par excellence pour le lin est le goémon pur. A défaut d'une quantité suffisante pour une fumure entière, on emploie le goémon en compost avec du fumier et du sable de mer. Le fumier fait avec la paille de sarrasin, la cendre, convient aussi au lin mais sur le fumier ordinaire, la filasse, dit-on, est de moins belle qualité.
Le point important pour cette culture, c'est, d'une part, que la terre ne soit pas trop grasse, et, d'autre part, que l'engrais soit intimement mélangé avec le sol. La préparation du terrain est généralement très soignée. A Lannion, on donne en février un labour qu'on dresse à la tranche, et, en mars, un second labour, suivi de tranchage et de hersage. On sème et l'on recouvre la graine à la herse et au râteau.
A La Roche, un premier labour se fait en février : en mars, on tranche et l'on herse, on donne un second labour hersé et nettoyé au râteau, puis un troisième labour, dressé à la tranche, sur lequel on sème. Sur la semence, on herse et l'on râtelle.
A Lézardrieux et à Paimpol, le premier labour est hersé ; le second labour est fait en croix, tranché et hersé, et la herse et le râteau suivent l'ensemencement. Dans l'arrondissement de Guingamp, on donne deux et quatre labours avec autant de hersages. On répète les hersages sur la semaille.
On emploie pour semences des graines indigènes ou des graines étrangères, mais, préférablement, ces dernières. En graines indigènes, on se sert de graines d'un an, deux ans, trois ans au plus ; vieilles, elles donnent de mauvaises récoltes ; nouvelles, elles dégénèrent ou deviennent infécondes, si l'on n'a soin de les renouveler au bout de 5 ou 6 ans.
En graines étrangères, on emploie :
1. La graine de Liébau, la meilleure pour le rendement en graines et la rusticité ;
2. La graine de Zélande, qui fournit le lin le plus long ;
3. La graine de Flandre, qui possède des qualités identiques à celle de Zélande.
La graine de Liébau est expédiée en barils de 100 kilogrammes ; celle de Zélande et de Flandre, en sacs du même poids. Les 100 kilogrammes, à Liébau et en Flandre, se vendent 50 à 60 francs, et en Zélande, 70 475 francs.
La bonne graine doit être longue, luisante, pleine, d'une franche couleur vert olive, et avoir la pointe un peu cambrée. On la prépare, en la vannant avec soin sur des vans de parchemin. La quantité employée par hectare varie de 180 à 200 kilogrammes ; en graines de pays ou en vieilles graines, on augmente les proportions d'un quart en sus.
L'époque de la semaille est du 15 mars au 5 avril, quand on ne craint plus les gelées.
Le lin lève au bout de 6 à 10 jours. Il est sujet à la rouille après les brusques changements de température, surtout lorsqu'il a été trop fumé. Les pucerons l'attaquent aussi quelquefois ; on s'en débarrasse en répandant 4 hectolitres de cendres par hectare. Pendant la croissance du lin, on lui donne généralement deux sarclages ; le premier exige de 32 à 40 personnes, et revient à 24 ou 30 francs ; le second ne demande que 20 à 26 personnes, et coûte de 15 à 19 francs.
On commence ordinairement la récolte à la fin de juin, aussitôt que le lin jaunit et que ses feuilles tombent ; on n'attend pas une parfaite maturité ; on préfère sacrifier la graine, qui, n'étant pas assez mûre pour semence, est propre à être vendue aux huileries, et obtenir une filasse ayant plus de douceur, de blancheur et de finesse.
Le lin s'arrache par poignées, dont chacune est liée avec un brin et posée sur le champ. On ne laisse pas javeler, on enlève et on égrène, aussitôt que possible, sur l'aire ou dans la grange. En mauvais temps, on cesse l'arrachage, coûte que coûte, plutôt que d'enlever du lin mouillé. A Lézardrieux, on égrène sur le champ même. L'égrènement se fait habituellement avec des peignes de fer qui détachent les gousses de la tige. On laisse les gousses se sécher au soleil pendant une quinzaine de jours ; puis on les bat, soit en les pilant avec les pieds, soit en les dépiquant avec des chevaux, soit en les battant au fléau.
Pour l'arrachage d'un hectare de lin, on calcule qu'il faut 20 personnes, payées 60 centimes par jour et nourries. Un bon travailleur doit dans sa journée tirer et lier 350 poignées (la poignée équivaut à la quantité de brins qui tient dans les deux mains) ; il peut en peigner 1 000.
Aussitôt que le lin est égrené, on le porte au routoir. Les routoirs à l'eau courante et en rivières passent pour les meilleurs : on y couche le lin sans le tasser, on le couvre de pierres, et on le laisse rouir pendant 8 à 10 jours. Quand on le tire, on l'étend sur l'herbe et on le laisse sécher 4 ou 5 jours ; puis on le ramasse en fagots de 10 kilogrammes, et on le monte au grenier.
Dans les routoirs alimentés par les eaux de sources ou par des réservoirs, le rouissage dure 15 jours ou 3 semaines.
La bonne disposition des routoirs est fort importante : si leur fond n'est pas de sable pur, on le pave en grosses pierres. On aime que l'eau se renouvelle par le haut ; si elle vient par le bas, le rouissage s'opère mal. La majorité des cultivateurs, en préférant les routoirs de rivières, prétend que le lin y devient plus beau et plus blanc ; les linatiers désapprouvent cette méthode, et disent que le lin, roui à l'eau courante, perd un poids, dont la valeur n'est pas compensée par l'augmentation de blancheur, et que son brin est moins fort et moins souple que celui du lin roui à l'eau stagnante. On paye souvent pour le rouissage aux routoirs : le prix s'acquitte en nature : il est de 1, 2, 3 %, et varie suivant les dépenses qu'a entraînées l'établissement du routoir.
Quand le lin est séché et en fagots, on le nomme lin en bois. Le rapport d'un hectare en lin, ainsi séché et prêt à être vendu, diffère considérablement d'une commune à une autre. La qualité du sol influe extrêmement sur le produit.
A Guingamp et à Plouagat, il est de 1 000 à 1 500 kilogrammes ; à Paimpol, de 1 600 à 2 000 ; à Pontrieux, Bégard, Lézardrieux, Belle-Ile, Lannion, de 2 500 à 3 000 kilogrammes ; à la Roche-Derrien, de 3 000 en moyenne.
Le rapport d'un hectare en graines ne varie pas moins ; c'est d'ailleurs un produit très chanceux. Il est, à Guingamp et à Plouagat, de 200 kilogrammes ; à Paimpol, de 300 à 360 kilogrammes ; à Lézardrieux et à Lannion, de 400 à 600 ; à la Roche, de 720 à 800. L'hectolitre pèse communément 75 kilogrammes.
La hauteur des lins ordinaires est de 64 a 70 centimètres ; celle des très beaux va de 70 à 85.
Le cultivateur estime beaucoup son lin, quand il est fin. Les linatiers prétendent qu'à cet égard il tombe dans l'excès, et qu'a force de semer dru, il finit par produire une infinité de brindilles sans consistance pour la fabrication. Il vaudrait mieux, disent-ils, semer moins épais et obtenir des brins plus gros et plus égaux en épaisseur. Les brins trop menus ont, en outre, l'inconvénient de verser à la première pluie.
Le lin en bois se vend à domicile, au marché et dans des entrepôts. Les linatiers des pays de fabrication des toiles, Quintin, Uzel, Loudéac, viennent presque toujours acheter à domicile.
Chaque maison se réserve un tiers ou un quart de son lin pour le convertir en filasse et le filer pour l'usage habituel.
50 kilogrammes de lin en bois produisent, suivant la bonté du brin, depuis 6 jusqu'à 15 kilogrammes de filasse, dont le prix varie de 1 franc à 3 francs le kilogramme, et depuis 2 kilogrammes 50 grammes jusqu'à 7 kilogrammes d'étoupes, dont le prix diffère de 10 à 50 centimes le kilogramme.
Le prix moyen du lin en bois est de 20 centimes le kilogramme ; il monte quelquefois à 25 et 3o centimes, mais ce prix devient rare.
Les 25 kilogrammes de graines se vendent 8, 9 et 10 francs.
L'hectare de terre propre à la culture du lin, vaut depuis 60 jusqu'à 150 francs de location".