"Si un grand nombre de maisons des 16e et 17e siècles nous sont parvenues, il n’en va pas de même pour leur environnement d’origine ou évolutif. Mieux construites, ces maisons ne sont pas nécessairement représentatives de l’architecture rurale dans son ensemble puisque l’habitat le plus modeste n’a laissé que peu de traces.
Pour les périodes reculées, il est difficile d’aborder l’habitat rural dans son environnement façonné, faute de documentation et, de ce fait, de résultats de recherche. Pour les périodes postérieures au Moyen Âge, l’historien a souvent eu tendance à négliger le patrimoine bâti comme témoin historique, sociologique et culturel.
Certains secteurs géographiques, à l’économie rurale et à la démographie peu dynamiques, ont conservé un habitat plus ancien qu’ailleurs, ne connaissant pas les abandons et destructions propres aux zones touchées avec plus de force par la première révolution agricole. On constate, en particulier dans certaines zones de l’intérieur, une forte représentation d’un bâti de qualité daté des 16e, 17e
et 18e siècles (Josselin, Cléguérec) ; ces régions alors prospères connaissent, par la suite, une stagnation certaine corroborée par un faible taux de reconstructions. Elles représentent un conservatoire d’échantillons précieux qui ne peut toutefois combler les lacunes concernant l’habitat disparu des territoires côtiers presque entièrement rebâtis au 19e siècle (Saint-Pol-de-Léon, le Cap Sizun)".
Paysage, économie rurale et habitat au Moyen Âge
"Le paysage autour de l’an mil, probablement ni bocager ni de type openfield, est mal connu. Au 13e siècle, bien que ralentis, les défrichements se poursuivent, en rapport avec la croissance démographique que connaît toute l’Europe. La forêt, élément essentiel de l’économie médiévale se dégrade si elle n’est enclose par les seigneurs ; elle demeure zone de pacage pour les troupeaux. Les superficies des terres cultivées s’accroissent malgré un outillage rudimentaire (araire à soc de pierre). Les rotations des cultures sont biennales, voire triennales. La culture des céréales domine, avec, en particulier, celles du froment et de l’avoine. Les pommiers à cidre font exception, mais la vigne se rencontre jusqu’au nord de la péninsule. Peu de vaches et de bœufs pour les attelages, des moutons sur l’ensemble des terres, pour la laine, et quelques chevaux, souvent sauvages, font l’essentiel du troupeau. Cet élevage qui occupe une place réduite dans l’économie rurale, produit en faibles quantités lait et viande. La production de miel est importante.
Entre le 10e et le 12e siècles, le village apparait comme unité de peuplement, comme cadre socioéconomique et réalité architecturale ; ce phénomène, général à l’Europe occidentale, aboutit quasiment partout aux mêmes résultats. La naissance du village se caractérise par une certaine concentration de population, une organisation de l’occupation du sol dans un espace réservé, des bâtiments collectifs, un peuplement permanent et des maisons construites de manière pérenne.
En Bretagne, l’archéologie apporte un éclairage nouveau ; des travaux récents se dégagent quelques éléments significatifs qui
ne sauraient cependant être généralisés. Les fouilles des habitats désertés entre l’an mil et les 13e et 14e siècles conduites dans les Monts d’Arrée (Finistère), à Melrand, Berné et Guidel (Morbihan), laissent à penser qu’il s’agissait, pour l’essentiel, de maisons mixtes construites en pierre et couvertes de chaume ou de mottes de gazon posés sur des charpentes en branchage et soutenus
par des poteaux en bois. La partie réservée à l’habitation humaine se distingue de celle destinée aux animaux. La partie habitable, plus élevée, accessible par une ou deux ouvertures, est toujours occupée par un foyer central généralement délimité par des dalles de pierre posées de chant. La maison finistérienne est de plan rectangulaire, celle du Morbihan présente des pignons en forme d’abside, spécificités qui ne sont pas propres à la Bretagne. Commun à toute l’Europe, cet habitat qui abrite dans un même espace et sous un même toit l’homme et l’animal, a perduré jusqu’au 20e siècle ; des exemples sont signalés dans le Morbihan, en 1944, à Plumelin, et dans les années 1970, près de Cléguérec. Pour les exemples bretons fouillés, les murs, peu élevés, sont sans fondations. Les édifices construits en pierre sèche, montée sans mortier, représentent vraisemblablement une étape tardive dans l’évolution de l’habitat rural de basse Bretagne ; alors que l’on ignore l’existence de maisons en bois, on serait passé, au cours du 12e siècle, à l’exemple des témoins les plus anciens (Monts d’Arrée), d’un logis en mottes de gazon avec parements intérieurs en pierre à la maison mixte entièrement construite en pierre, souvent entourée d’autres constructions à usage agricole (M. Batt).
Exceptionnellement regroupées en hameau, elles sont le plus souvent isolées, confirmant que la dispersion de l’habitat est une réalité très ancienne".
Agriculture de subsistance et exportation des excédents
"Les densités de population au kilomètre carré passent de 30-35 habitants aux 14e-15e siècles à 50 habitants au 17e siècle ; on peut considérer cette densité comme élevée au regard des rendements céréaliers médiocres obtenus sur un territoire faiblement cultivé et des exploitations de petite superficie dans leur quasi totalité. Pourtant, dans cette agriculture de subsistance, on connaît aux 16e et 17 siècles des excédents, notamment pour le seigle et le froment, ce qui incite la Bretagne à s’ouvrir au commerce de ces productions. Le Léon, le Trégor et le Goëlo forment de véritables ceintures légumières produisant choux, choux-fleurs, fèves, oignons et ail, surtout destinés à l’exportation, au détriment de la consommation indigène. Dans ce contexte, de riches paysans ou des marchands se construisent d’imposants logis qui rivalisent par leur décor avec certains manoirs.
Dès le début du 16e siècle, dans le Léon par exemple, l’exploitation agricole s’organise autour du logis, avec communs, cour, aire de battage, jardin potager, zones de stockage et espaces d’accès. Ce schéma reste globalement en place jusqu’aux années 1960.
Culture des céréales et élevage du bétail sont associés. Le seigle est la base de l’alimentation. Le sarrasin occupe rapidement des terres plus pauvres ; son extension, à laquelle il faut ajouter le mil à la fin du 15e siècle, allait transformer profondément l’économie rurale.
Au 18e siècle, sur les terres les mieux fumées autour de la maison, le froment gagne du terrain, au détriment des autres céréales. La galette de blé noir fait l’ordinaire du paysan. Près des maisons et des jardins, on voit apparaître les premiers arbres fruitiers greffés; les pommiers à cidre n’achèvent leur conquête que dans la seconde moitié du 18e siècle. Toujours à proximité des maisons, on cultive le lin et le chanvre, plantes textiles qui alimentent un florissant commerce de toiles (Léon, Uzel, Vitré, Locronan) dont les bénéfices sont réinvestis dans de nombreuses réalisations architecturales tant religieuses que civiles. A Cléguérec, qui compte en 1667 deux fois plus d’habitants qu’en 1982, 66 % du bâti recensé par l’Inventaire général est daté des années 1550-1750. Chèvres et moutons sont élevés sur les vastes étendues de friches et de landes; les chevaux, très tôt réputés, sont exportés en nombre à
partir des grandes foires vers les régions voisines et l’Espagne. Le beurre qui «surpasse par sa délicatesse le meilleur de toute la France » (Jouvin), a aussi sa clientèle à Bordeaux, La Rochelle, en Anjou, à Paris. Aux 16e et 17e siècles, l’agriculture est caractérisée par une grande diversité de production qui toutefois reste limitée du fait de l’insuffisance des connaissances agronomiques et de
l’absence d’amendements et d’engrais alors que les outils agraires, dans un pays où la charrue à roues est largement utilisée, place la Bretagne au rang des provinces développées.
A la veille de la Révolution, la Bretagne marque le pas, à la différence du reste du royaume, alors que les projets de la Société d’agriculture, créée à Rennes en 1757, n’aboutissent guère. Les fourrages artificiels sont pratiquement inconnus, la culture de la pomme de terre reste limitée, les terres récemment défrichées retournent à la lande faute d’engrais, les amendements calcaires nécessaires aux sols acides sont difficilement acheminées vers l’intérieur. La petite noblesse, pauvre et nombreuse, et la grande noblesse, détenant l’essentiel des terres, face à un monde rural de routine, ne prennent pas toujours la direction de l’innovation".
Gwénaël Fauchille a réalisé le recensement du bâti et l'étude du patrimoine de la Communauté de communes de Beg ar C'hra : Le Vieux-Marché, Loguivy-Plougras, Plougras, Plounérin et Plounévez-Moëdec.