Ancienne forteresse médiévale située à quatre grandes lieues à l´ouest de Saint-Malo, le fort juché sur son éperon rocheux commande la baie de la Fresnaye. Reprenant une ancienne construction (937 selon la légende), les sires de Goyon seigneurs de Matignon, édifièrent au 14e siècle un château-fort quasiment imprenable jusqu´à l´apparition du canon en Bretagne. Assiégé plusieurs fois en 1379 et 1490, le château est brûlé et démantelé en 1597 par les troupes de Mercoeur durant les troubles de la Ligue.
Remanié par Garengeau, ingénieur de Louis XIV, le château médiéval en partie ruiné est transformé en un ouvrage de défense côtière. D´après le plan du fort La Latte, établi à Saint-Malo par Garengeau le 4 novembre 1691, il s´agissait en priorité de créer une batterie en fer à cheval au ras de l´eau et deux échauguettes pour les sentinelles. "Le roi a fait de ce château depuis l´année 1689 pour environ 26 000 livres de dépense soit en réparation des murs de son enceinte, ponts-levis et dormants, logements, qu´en batterie haute et basse". Le donjon constitué d´épais murs percés d´archères et de canonnières autrefois protégé par herses et pont-levis (aujourd’hui disparu) constituerait l´ultime réduit en cas d´attaque et une formidable tour d´observation à mi-chemin entre les tours du Cap Fréhel (1700) et des Hébihens (1695-1697). Garengeau, profitant de la résistance des vieilles voûtes sous croisées d´ogives en fait le magasin à poudre du fort. Des batteries de canons à barbette (c´est à dire tirant au dessus du parapet) protégées des tirs de la mer par un mur perpendiculaire sont élevées sur les hauteurs du fort tandis qu´une écurie surmontée d´un corps de garde et des créneaux de mousqueterie sont aménagés "sur l´avancée" après le premier pont-levis.
Vauban, dans son plan de défense de Saint-Malo, écrivait en mai 1694 : "le commandant du château de La Latte ci-devant capitaine du régiment d´Hoquincourt et qui a servi en Irlande est là depuis trois ans, sans avoir touché un sol de ses appointements. Il a même une jambe cassée depuis dix-huit mois dont il n´y a pas d´apparence qu´il guérisse. [...] Son maître canonnier est un manchot, de sorte que les deux seuls officiers de ce fort n´ont que la moitié des bras et des jambes qu´il leur faut. Quand j´ai fait la visite, il y avait pour garnison cinq misérables paysans, détachés du prochain corps de garde de la côte, ce qui n´est pas contentement pour un lieu comme celui-là, qui pourrait être surpris par une descente de deux chaloupes... ". Enfin, l´ingénieur "chef d´orchestre" précisait qu´il fallait encore mettre "trois ou quatre grosses pièces de canon dans le château de La Latte et un mortier, le tout avec même quantité de munitions de guerre et de bouche qu´à l´île Harbourg et à la Conchée".
Pendant la révolution, un four à boulets desservant les batteries de canon est construit au pied de l´ancien donjon. Arme dissuasive, un seul boulet "rouge cerise" tiré "droit au but" pouvait couler bas un vaisseau...
Déclassé en 1890, le fort fut vendu par l´Administration des Domaines à un particulier. Passant un temps de main en main mais classé Monument Historique en 1925, il est racheté en 1931 par Frédéric Joüon des Longrais qui le fit restaurer. Depuis, la famille Joüon des Longrais veille sur le fort, continuant d´assurer sa vie en ouvrant le site aux visiteurs. En 2005, un canon de 18 livres de balle sur affût pivotant de type Gribeauval a été réinstallé au fort. L´histoire de la forteresse continue".
[Guillaume Lécuillier, 2006]
Le fort La Latte a fait l'objet de plusieurs campagnes photographiques, accessibles ici.
[Lionel Besnard, 2023]