Jusqu’à la construction du sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray au XVIIe siècle, l’église Notre-Dame-du-Roncier est sans conteste le premier lieu de pèlerinage de Bretagne méridionale. Des pèlerins affluent toute l’année et les pardons, qui sont célébrés le jour de la Pentecôte jusqu’au XIXe siècle, attirent des foules nombreuses. L’histoire du sanctuaire est étroitement liée au culte de Notre-Dame du Roncier et à ses mutations.
Découverte d’une statue miraculeuse et construction de la première église au Moyen Âge
La légende situe l’origine de l’église au IXe siècle, lorsqu’un laboureur découvre dans un buisson d’épines, une statue de la Vierge. Le paysan tente en vain de l’emporter mais elle revient toujours à l’endroit de sa découverte, qui sera plus tard le lieu d'édification d'une chapelle. Les premiers documents la désignent sous le nom de « Notre-Dame du château », en référence à celui de Guéthenoc, vicomte de Porhoët, qui a souhaité s’établir au plus près du lieu de l’apparition miraculeuse. L’attractivité du sanctuaire se confirme par la suite, lorsqu’Olivier de Clisson (1336-1407), connétable de France et comte de Porhoët, fait de la cité le lieu privilégié de la seigneurie de Rohan et ajoute un oratoire personnel en la chapelle Sainte-Marguerite, du nom de sa seconde épouse. Comme le souligne Roger Barrié, l’église reconstruite et agrandie entre la fin du XIVe siècle et le début du XVIe siècle est « propice à la fréquentation populaire » [1]. La circulation y est facilitée par un vaste plan rectangulaire. L’air et la lumière se propagent librement à l’intérieur de la nef, rythmée par ses files de piles élancées, supportant de hautes voûtes, dans l’esprit des église-halles [1]. Un évènement ponctuel telle la prédication de saint Vincent Ferrier à Josselin en 1419 comme le développement continu du pèlerinage ont probablement encouragé une telle conception de l’espace.
Vitalité religieuse et afflux d’offrandes aux XVIIe et XVIIIe siècles
Après cette première période d'essor de Notre-Dame-du-Roncier, l’église bénéficie au XVIIe siècle du renouveau général du culte marial, à la suite du vœu de Louis XIII, consacrant le royaume de France à la Vierge. Vers 1660-1670, s’accroît ainsi le rayonnement du sanctuaire, que vient asseoir en 1666 l’ouvrage du père Isaac de Jésus-Marie, religieux du prieuré que les Carmes ont établi à Josselin pour desservir le pèlerinage. Dans Le lys fleurissant parmi les épines ou Notre-Dame du Roncier triomphante dans la ville de Josselin, il consigne le miracle originel pour en affirmer l’authenticité.
Les archives de la paroisse, conservées en partie pour l’époque moderne, reflètent sa richesse. Dans son étude consacrée à la vie paroissiale de Josselin de 1680 à 1780, Pascal Burguin montre qu’en comparaison d’autres paroisses du diocèse de Saint-Malo dont elle fait partie, ses revenus sont bien supérieurs. Le niveau élevé de son budget s’explique par les fondations nombreuses au XVIIe siècle mais aussi par le volume considérable des offrandes faites à Notre-Dame-du-Roncier, qui connait un fort accroissement tout au long du XVIIIe siècle. Produits de quêtes ordinaires ou dons déposés à l’occasion de pèlerinages, ces oblations, qui représentent entre 35 et 55% des recettes totales, témoignent de la vitalité religieuse du sanctuaire. Une part importante de ces subsides est investie dans des dépenses artistiques qui attestent la volonté des paroissiens d’embellir le cadre et d’assurer la beauté des offices. Ainsi, au cours du dernier quart du XVIIIe siècle, les anciennes chapelles et le chœur sont réaménagés avec l’autorisation des seigneurs prééminenciers, les Rohan. La fabrique de l'église commande alors deux balustrades en fer forgé au maître-serrurier Eustache Roussin, ainsi qu’une chaire à prêcher, chef d’œuvre de ferronnerie, illustrant le faste des célébrations et l’importance accrue de la prédication en ce temps.
Renouveau du pèlerinage et du culte de Notre-Dame du Roncier au XIXe siècle
A la fin du XIXe siècle, le niveau des offrandes et des dons reste élevé. Dans les années 1890, elles représentent encore près de 45% du total des recettes. Le dernier tiers du siècle correspond à une période de renouveau du culte marial, qui trouve à Josselin une résonnance particulière. Le 8 septembre 1868, la statue miraculeuse de Notre-Dame-du-Roncier est couronnée, en présence de Mgr Becel, évêque de Vannes, moins d’un mois avant celle de Sainte-Anne-d’Auray. Cette cérémonie s’inscrit dans une entreprise générale de couronnement des statues de Vierge des principaux pèlerinages mariaux en France, qui démarre sous le Second Empire et s’étend sur la première moitié du siècle suivant. Attestant l’ancienneté du pèlerinage, ces cérémonies donnent lieu à de grands rassemblements. Selon la Semaine religieuse de Vannes, à Josselin, les festivités réunirent 200 prêtres et 30 000 fidèles. Ce jour marque tant les esprits qu’un glissement en faveur du 8 septembre - qui est la date de la Nativité de la Vierge - s’opère et que le « grand pardon » est bientôt célébré ce jour-ci plutôt qu’à la Pentecôte comme initialement. A cette dernière date se tient encore cependant longtemps une fête de pardon qu’on peut qualifier de secondaire, jusqu’à sa mise en sommeil à une époque récente.
L’encouragement au pèlerinage que constitue le couronnement est ensuite renforcé par l’élévation de l’église au rang de basilique mineure le 12 avril 1891. Dans ce contexte très favorable, l’arrivée du chanoine Simon, à la tête de la cure de 1885 à 1920, donne l’impulsion à une entreprise de restauration générale de l’église et à sa transformation afin de l’adapter aux besoins d’une grande basilique de pèlerinage. Cette entreprise est encouragée par l’évêque, Charles-Philippe Place (1878-1893), qui souhaite voir l’entreprise achevée pour « les noces d’argent du Couronnement » en 1893.
Les travaux commencent par la reconstruction en 1889-1890 du pilier sud-ouest de la croisée du transept, qui menace de s’effondrer, et des voûtes du transept et du chœur, sur les plans de l’architecte nantais René Michel Ménard (1843-1895), en charge de la restauration de la basilique. A la même période, la chapelle Sainte-Marguerite est restaurée avec le financement de la famille de Rohan. A partir d’avril 1891, on démolit la voûte de la nef, sans doute établie au début du XIXe siècle et on la remplace par une charpente lambrissée plus haute et plus conforme au mode de couvrement originel. Les sablières sont signées de la main du maître-menuisier josselinais Julien Hélé, qui réalise aussi parallèlement des architectures éphémères pour les fêtes du pardon, comme des arcs de triomphe et des estrades. L’année 1893 voit le démarrage d’une nouvelle campagne de travaux, destinée à transformer la chapelle nord, chapelle Sainte-Catherine en chapelle de pèlerinage, dédiée à Notre-Dame du Roncier et le bas-côté nord en « nef des pèlerinages », devant mener directement à la statue miraculeuse. Des verrières dont l’iconographie fait référence à plusieurs épisodes marquants de l’histoire du sanctuaire, comme la découverte de la statue ou des guérisons miraculeuses, sont mises en place. Ces aménagements et embellissements sont menés en prévision du 8 septembre 1893, date à laquelle on doit célébrer le 25e anniversaire du couronnement de la statue mais aussi la consécration de l’église et de l’autel Notre-Dame-du-Roncier deux années après l’obtention du statut de basilique. A partir de 1895, on reconstruit la sacristie, devenue trop étroite pour les grandes célébrations de la fin du XIXe s., sur les plans de René Michel Ménard et sous la direction des architectes nantais Lagaury (?-?) et Emile Libaudière (1853-1923) qui lui succèdent après sa disparition.
Un autre chantier de taille occupe ces maîtres d’œuvre à partir de 1899 : la construction d’une nouvelle tour, contre la face est de la chapelle Sainte-Catherine, rendue possible par un legs important, fait à la basilique pour son embellissement par une dénommée Aglaé Vallée. Dans une délibération du conseil de fabrique du 2 février 1899, les objectifs et motifs de ce projet sont clairement exposés. Il s’agit de détruire l’ancienne tour clocher « devenue inutile autant qu’encombrante » car empiétant largement sur le bas-côté nord menant à la nouvelle chapelle de pèlerinage et de construire une tour « convenable, en harmonie avec l’édifice » au chevet de la basilique. En 1901, la tour est bâtie jusqu’au départ de la flèche, les niveaux de la tribune, du crucifix monumental et de la chambre des cloches étant achevés. La tour, qui fait déjà 16m de haut, doit signaler aux alentours la présence insigne de la basilique, profitant de sa situation sur un point haut. Elle illustre une certaine volonté de rechristianisation de l’espace urbain, observée dans les grands centres de pèlerinage durant la seconde moitié du XIXe siècle. Mais un différent financier avec l’entrepreneur entraîne l’interruption du chantier en 1906 et laisse la tour inachevée jusqu’à 1945. Cette longue période de latence explique probablement pourquoi la tribune de cette tour n'a jamais été utilisée dans le cadre des pardons, et que la loggia de l'église Saint-Martin est encore préférée de nos jours.
Cette loggia est l’une des dernières réalisations du père Simon. Imaginée dès 1900, elle est achevée en 1911. Construite en façade sud de l'église Saint-Martin, sur les plans de l’architecte de Vannes Joseph Caubert de Cléry (1862-1944), ce balcon est construit pour accueillir les prêches matinaux du pardon de Notre-Dame de Roncier qui se déroulent en plein air sur le champ de foire face à Saint-Martin au moins depuis 1868 et le couronnement de la statue.
En 1910, on achève enfin le décor de la chapelle du pèlerinage dans la basilique, confié à la maison Perruchot de Nantes. Ne reste plus qu’à dégager le bas-côté nord, toujours encombré par l’ancien clocher, pour faciliter l’accès à la chapelle Notre-Dame-du-Roncier. C'est chose faite au début des années 1920 et sous l'impulsion du chanoine Lanco qui succède au chanoine Simon, de 1920 à 1931 : le clocher est détruit et un projet d’aménagement des deux travées ainsi libérées est dressé par René Charles Ménard (1876-1958), fils de René Michel Ménard qui a dirigé la restauration de l’église dans les années 1880 et 1890. Commence alors un important chantier qui consiste à reconstruire une voûte à l’emplacement du massif de la tour supprimée et à la raccorder au reste du voutement du bas-côté nord. Deux chapelles latérales, dédiées à sainte Anne et saint Joseph, sont établies dans l’emprise du débord de l’ancienne tour, reliées par une arcade haute et étroite, percée d’une rose néo-gothique et dont la construction représente un important défi technique. Deux baies aux réseaux de style gothique flamboyant sont également ouvertes dans le mur nord pour éclairer ces chapelles. La construction d’un baptistère, dessiné par le même René Charles Ménard, entre 1929 et 1932, dans la dernière travée du bas-côté nord de l’église, vient clore le grand chantier d'aménagement de la « nef des pèlerinages ».
L’espace et le paysage dans la célébration du pardon à travers le temps
Depuis le XVIIe siècle au moins, le pardon, célébré d'abord le jour de la Pentecôte puis le 8 septembre, donne lieu à une importante procession dont l'organisation et l'ordre sont très codifiés. Sur la procession du XVIIe siècle, on sait seulement, grâce au témoignage du père Isaac de Jésus-Marie, qu'un grand nombre des paroisses du comté de Porhoët s'y joignent, marchant ainsi derrière une quarantaine de bannières.
A partir du 8 septembre 1868 et du couronnement de la statue de la Vierge, le parcours de cette procession est mieux connu. Les paroisses voisines entrent dans la ville tôt le matin, conduites par leur curé et viennent saluer la statue miraculeuse. La grande procession se forme alors et quitte l'église Notre-Dame-du-Roncier pour se rendre sur la place devant l'église Saint-Martin, transformée au XIXe siècle comme évoqué plus-haut, afin d'accueillir les messes en plein air. L'office y est donc célébré puis la procession retourne à la basilique pour les vêpres. Une seconde procession est ensuite organisée jusqu'à la Basse-Ville. Elle passe au bord de l'Oust et emprunte le chemin de hallage avant de remonter vers Notre-Dame-du-Roncier. Amédée Guillotin de Corson évoque un "spectacle plus beau encore lorsque la Madone est déposée sur une estrade élevée au bord de la rivière, à l’ombre du château" [3]. Le clergé s'appuie ainsi sur l'espace urbain pour mettre en scène la procession escortant la statue. Mais la ville n'est pas qu'un décor pour cette cérémonie. Elle constitue aussi un cadre symbolique cohérent, que la procession par son passage unifie et réactive. Avant de regagner l'église Notre-Dame-du-Roncier, la procession traverse le quartier Saint-Nicolas, en bordure duquel se trouve de la fontaine Notre-Dame-du-Roncier. On peut penser qu'un dernier arrêt y est fait. On sait avec plus de certitude que, dans les années 1930 et 1940, un petit pèlerinage y est organisé, entre la messe du matin et les vêpres. La procession passe alors par la Basse-Ville sur le chemin du retour vers Notre-Dame-du-Roncier. Aujourd'hui, la procession ne longe plus par les bords de l'Oust, reliant simplement la basilique à la place Saint-Martin.
[1] BARRIÉ, Roger, "Notre-Dame du Roncier à Josselin", Congrès archéologique de France. Morbihan, Paris, 1986, p. 103-106
[2] Une église dont les vaisseaux sont d’égale hauteur.
[3] GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Les pardons et pèlerinages de Basse-Bretagne, 1ère série, diocèse de Vannes, Rennes, 1898
(Garance Girard, enquête thématique régionale, 2022)
Photographe